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"- Veux-tu voir mes dessins ?"

La voix de Kaveh résonne dans la pièce vide.
Un endroit de l'académie où Alhaitham n'a jamais posé les pieds, et dans lequel ils n'ont probablement aucunement le droit d'être.

Mais Kaveh n'a pas l'air d'y porter une grande importance, ils sont là, dans ce lieu à quelques pas d'une ville animé mais qui donne l'impression d'en être à des kilomètres.
Pas le son des pas des élèves, ni celui de l'agitation des passants.
Juste eux, l'écho de la voix de Kaveh, et l'impression d'être absent d'une réalité qui ne les attend pas.

"- Montres les moi."

Cette curiosité ne lui ressemble pas, cette intérêt soudain non plus, mais les réponses se cachent peut être dans les traits confu de Kaveh.

Celui-ci lui sourit, comme toujours, et lui tend fièrement le callepin.

Les pages se tournent, des portraits les décorent, des brouillons de bâtiments qui ne seront sûrement jamais finalités, des bouts de paysage un peu fantaisistes.

Plus il le feuillete, plus Alhaitham comprend sa naïveté.
Parce que les dessins ne se souviennent pas des secrets, qu'ils n'ont rien à lui dire.
Et que Kaveh n'a laissé, à aucun endroit, la solution de cette énigme insensée.

Au contraire, Alhaitham à l'impression que chaque page l'éloigne davantage, que l'ordre des traits lui échappent, et que les figures des portraits se tordent.
Et ils à cette sensation déconcertante que les ébauches le narguent, et viennent lui chuchoter :

   "Tu ne comprend pas."

Kaveh s'éloigne sans cesse, loin, si loin que son image se déforme au l'horizon.

Quand il relève enfin le regard, Alhaitham croise celui de Kaveh.
Perçant, captivant, insaisissable.

Les questions bourdonnent toujours autant, et une impression de manquer de souffle l'envahit soudainement.


Qui es-tu ?
Pourquoi es-tu si loin?

"- À quoi penses-tu ?"

La voix de Kaveh se fait plus douce que d'habitude, comme un chuchotement.

"- À rien.
- Menteur."

Et Alhaitham n'ose plus le regarder.
Parce que Kaveh semble comprendre ce qui se cache au fond des autres.
Et il ne veut pas qu'il comprenne qu'il ne le le comprend pas.

Le silence lui coupe le souffle, et le regard de Kaveh lui brûle la peau.

"- ...Pourquoi dessines tu ?"

Un léger rictus échappe à Kaveh, et sa précédente question semble s'évaporer dans l'air ambiant de la pièce.

"- Pour se souvenir.
- De quoi ?"

Kaveh affiche un sourire espiègle.

"- Tu es bien curieux Alhaitham. "

Celui-ci préfère ignore la remarque tout en continuant à fixer un point invisible au loin, pour tenter d'échapper au regard écarlate du blond.

"- Des gens de la ville, de ceux dont j'oublierai l'existence la minute d'après. Pour se souvenir des lieux dans lesquels j'ai aimé me perdre, dans lesquels les prochaines fois n'auront rien à voir avec la première fois où je m'y suis rendu.
Pour ne pas oublier ceux que je perdrai avec le temps, les choses qui ne seront plus jamais pareil.
Plus tard ça me fera des souvenirs."

Kaveh marque une pause, et Alhaitham pose enfin son regard sur lui.
Leurs yeux se rencontrent, et l'intensité qu'affiche ceux de Kaveh semble le figé, le temps d'une seconde.

"- Je t'ai dessiné, je ne t'oublierai jamais."

ꜱᴏᴜᴄɪOù les histoires vivent. Découvrez maintenant