Un matin comme un autre dans cette vie pourrie. Réveillé par le son des épées d'entraînement qui tintent dans la cour. Encore. Frappant sur la porte de la grange où il passait ses nuits, sa tante, Keryll, tentait d'avoir son attention.
"Hey petit ! Magne-toi ou tu vas encore prendre une rouste !"
Non pas sans grogner, il se leva et attrapa son lourd heaume de fer gisant à côté du tas de paille qui lui servait de lit. Il ouvrit la porte et se brûla la rétine malgré les fentes très fines qui lui permettaient de voir au travers de sa prison de rouille.
"Tu devrais aller te laver, 113. Tu pues le chien mouillé", lui lança-t-elle.
"Tu payes l'eau ?" rétorqua-t-il.
Elle ravala son mécontentement. Elle était dans une épaisse armure entièrement noircie par l'usure et les flammes de ses nombreux combats, portant un sigle de corbeau sur le torse. Ses cheveux étaient châtains avec quelques pointes de gris par-ci par-là et surplombé de petites oreilles de coyote. Son visage était doux et jeune d'une trentaine d'années malgré son expression sévère. Ses yeux noisette le toisaient d'un air vaguement dédaigneux.
"Tiens ta langue. La matriarche arrive aujourd'hui pour voir l'avancée de nos progrès."
Son sang se glaça et son souffle devint saccadé. Il s'appuya contre l'encadrement de la porte juste avant que la main de Keryll ne se pose sur sa tête.
"Ne t'en fais pas, je suis là. Reste discret et tout devrait bien se passer."
Il mit la main sur son torse, encore engoncé dans une lourde cuirasse de fer qu'il tira un peu pour prendre une plus grande inspiration. Son regard se posa sur elle. Il vacilla un peu.
"Devrait ?"
Elle pouvait sentir sa détresse malgré son masque aux traits torturés. Cela devait bien faire des années qu'elle n'avait pas vu son visage. Depuis son entrée dans l'ordre des Sœurs de la Guerre... Les hommes n'y sont pas les bienvenus à part pour être esclaves des Sœurs. C'est pour ça qu'ils ne s'y risquent pas en général à moins d'y être contraints, comme lui. Petit fils de la matriarche de l'ordre, torturé depuis son plus jeune âge pour les erreurs de parents qu'il n'a pas connus, ne connaissant que le froid des nuits dans des chenils et l'odeur de la bouffe pour chien.
Seule sa tante lui apportait un peu de réconfort malgré le désaccord de la matriarche. Étant la fille prodigue, elle avait quelques passe-droits et en profitait pour lui donner un peu d'amour. Beaucoup auraient pu dire que c'était un ange pour sa gentillesse, mais ceux qui ne la côtoyaient pas beaucoup pensaient qu'elle restait la digne fille de sa mère. Froide et dure la plupart du temps ainsi que prête à tout donner pour l'Ordre qu'elle sert.
"Allez, ramène-toi. Faisons en sorte que tu n'ais pas de raison de te faire battre cette fois."
Machinalement, il passa la main dans son dos où de vieilles cicatrices de fouet se réveillèrent légèrement. Il la suivit à pas lents et incertains. En passant dans la cour boueuse du fort que gardait sa garnison, il croisa le chemin de jeunes recrues menées par une vétérane de l'Ordre: Brena. Il ne pouvait pas la voir en peinture, chaque fois qu'elle le croisait, elle en profitait pour lui en rajouter une couche. Et cette fois-ci ne dérogea pas à la règle. Du haut de ses deux mètres trente, la puissante Nar'Govath, un peuple d'homme-bête aux attributs félins, ne considérait le garçon de quinze ans guère plus qu'une vieille poupée de chiffon déchirée. Sa peau bronzée et ses cheveux argentés étaient enviés par de nombreuses Nar'Govath, car il s'agissait d'un des symboles de la noblesse de Dayand, pays se trouvant à l'Est du continent d'Asterite. Son père était marchand et sa mère une Sœur de la Guerre respectée avant sa mort sur le front de l'Ouest, contre les humains. Même ses oreilles et sa queue de Jaguar étaient rares. Malgré tout cela, elle n'eut jamais aucun traitement de faveur et beaucoup la respectaient pour cela. Elle l'attrapa par les épaules et le jeta à terre un mètre en arrière, et ce malgré la lourde armure du garçon. Ce dernier tomba dans la boue qui éclaboussa les personnes autour de lui, dont sa tante légèrement.
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Le prix de la folie
FantasyAu milieu de la florissante et verdoyante forêt de Mirissa dort paisiblement Julie, une jeune femme possédant des particularités animales, rejetées de tous à cause de cela. Habituée à des journées solitaires et des nuits hantées de cauchemars de son...