O sol

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(Artiste : thijikoy, Twitter)
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L'air était lourd comme du plomb. Une enclume s'était abattue au-dessus de sa tête, imposante, accablante, assourdissante. Les effluves des flammes alentour parvenaient encore à se frayer un chemin jusqu'à elle, relevant un goût âcre dans sa bouche sèche. La fumée lui donnait la nausée, la poussière qui s'élevait devant son visage lui piquait l'épiderme, elle sentait ses yeux s'humidifier. Elle percevait ses compagnons se presser autour d'elle, certains ralentissaient et s'arrêtaient abruptement à son niveau, d'autres ne réussissaient même pas à avancer davantage. Tous affichaient cette épouvante commune, les morceaux de cendres qui flottaient vers leurs corps célestes se perdaient dans la brume, même leur chaleur éphémère ne saurait calmer la froideur de leurs âmes à cet instant. Un silence caniculaire avait pris possession du paysage massacré, l'incendie ressemblait à une pluie torrentielle de mœurs divins, les décombres de certains monuments, de nombreux corps, gisaient au sol comme des feuilles mortes prêtes à se consumer. C'est un cri, unique et strident, qui déchira l'effroi du groupe en une surprise douloureuse. Un hurlement de désespoir, sanguinolent, un appel à l'aide. La voix qui se brisait dans cette gorge portait sur tout le pays, même la plus infime des créatures aurait pu l'écouter lui chanter sa peine, plus étouffante que le monde.

« Guizhong ! »

Elle l'écouta se fendre un chemin à travers leurs frères d'arme, leurs plus fidèles amis. Elle l'écouta respirer plus frénétiquement, comme si l'oxygène lui manquait. Elle l'écouta passer à côté d'elle en l'ignorant totalement, tel un éclair furtif qu'elle ne sut saisir. Elle l'écouta se diriger au plus proche, les pas de plus en plus légers, avant de s'effondrer à genoux devant la dépouille qu'ils admiraient tous avec tant de véhémence. Elle l'écouta sangloter, pleurer, gémir et répéter son nom. Elle l'écouta faire ce qu'elle ne parvenait à accomplir. Elle écouta l'univers s'écrouler sous ses pieds et son cœur se creuser une tombe. Elle écouta les gouttes, filles des nuages, se déverser sur sa conscience. Elle écouta. Et c'est tout ce qu'elle fit.

« Souverain de la Roche. »

Elle n'eut la force de relever son regard vers celui qui avait eu le courage de prononcer ce titre. Sa tête était baissée, comme si elle priait, et elle priait, elle priait le ciel de lui ramener la vie qu'il avait quémandé, elle priait la voûte céleste de rendre l'existence qu'elle avait volé, elle priait les étoiles, la lune morte et la voie lactée, elle priait comme un pécheur, elle priait comme une sœur, elle priait comme une veuve, elle priait surtout comme une folle. Les bras badants, les yeux ternes, bouffis, elle savait que ses lèvres pincées et ses joues grises ne témoignaient que d'une crise soudaine, et pas d'un réel conflit interne qu'elle démêlait au mieux. Mais elle priait.

« Il faut sceller son corps. Il risque de détruire le reste des plaines sinon. »

Il continuait de parler, elle continuait de prier.
Reviens. Reviens. Reviens.
Il continuait de pleurer, elle continuait de prier.
Reviens. Reviens. Reviens.
Il continuait de le résonner, elle continuait de prier.
Reviens. Reviens. Reviens.

« Guizhong... »

Son dernier souffle de malheur s'éleva dans les airs, comme une trace de bois consumé par le feu. L'environnement craquait autour d'eux, la terre se fissurait déjà sous la statue de particules effritées de la déité. Elle considéra ce nom, son nom, releva ses pupilles vides, dévisageant le spectacle effroyable de la mort qui hantait la moindre de ses cellules. Elle vit son doux minois blanc se briser, ses paupières affaissées et ses longs cils rabaissés être immortalisés dans une pierre fébrile. Même auprès de la Faucheuse, elle avait su garder son élégance propre, son énième expression aura été celle d'une jeune femme sereine, endormie, qui ne rêvait que de paix et d'amour. Elle examina ses cheveux qui semblaient toujours flotter autour d'elle, ils avaient perdu leur éclat et leur couleur, ils étaient comme du granit, immobiles, décédés. Elle la détailla durant ces courtes secondes, son cœur se serra comme un piège à ours funèbre, elle flancha sous la souffrance émise dans son poitrail. C'en était trop. Alors elle pria.
Reviens-moi.

***

Depuis la nuit de temps, le Soleil et la Lune s'aimèrent dans la fièvre la plus ardente.
Se faisant face chaque matin, ils se saluaient sans oser se toucher.
Lorsque la patience du Soleil partit en fumée, il se confessa à la Lune, lui offrant la bague la plus sophistiquée et les proses les plus fleuries.
La Lune, dans toute sa sagesse et son affection, se retrouva tiraillée par son devoir et son cœur.

Le Soleil et la Lune [GUIPING] Where stories live. Discover now