Me dá um tempo

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(Artiste : ffffflllllgun, Twitter)



Elle ne fut pas surprise lorsqu'elle se réveilla dans sa chambre, avec la lumière du jour qui filtrait toujours à travers la petite fenêtre adjacente. Par réflexe, elle jeta un coup d'œil à son bureau où se trouvait sa cithare favorite, et y trouva sans surprise Guizhong, qui, contrairement aux autres fois, regardait dans le vide avec un air mélancolique plein de regret.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? »

Sa camarade ne lui adressa le moindre regard et l'ignora presque, elle en fut blessée et se pinça anxieusement la lèvre inférieure en attendant une réponse.

« Depuis combien de temps fais-tu cela ? »

Les yeux violets de l'adepte s'écarquillèrent de stupeur. Ce n'était pas la voix qui l'accueillait à chacune de ses réincarnations, elle était dénuée d'extase ou d'engouement, elle n'était que platitude et chagrin. Une angoisse s'empara de son être entier et elle se redressa soudainement, le souffle saccadé.

« De quoi parles-tu ? »

Elle rencontra les iris bleu et gris de la Déesse de la poussière qui avait des perles au bout des cils, ses paupières étaient également gonflées et rouges.

« La manipulation du temps. »

Silence.
Flâne-Sentier dut prendre un moment avant de parvenir à articuler quoique ce soit, l'étonnement était trop fort, se contenir se rapprochait de l'impossible dans ces circonstances.

« Je ne sais pas. »

Elle se sentait coupable. Elle percevait sans mal la déception, mais aussi la douleur de sa bien-aimée, et elle savait que sa découverte avait dû la chambouler au plus profond de son être. L'accablement était tel qu'elle en perdit tout goût envers la volonté qui l'animait il y a peu.

« Il faut que tu arrêtes. »

Son cœur se serra si fort et si brusquement qu'elle crut qu'elle allait en mourir. Jamais on ne lui avait adressé de paroles plus dures, la fatalité de cette conversation tournait ses émotions en dérision. Elle se retenait de ne pas éclater en sanglots, car c'est tout ce qu'elle voulait faire, exploser, enfin, et délivrer tout le mal qu'elle s'était donné jusqu'à présent.

« Je ne peux pas. »

Sa voix était chevrotante. Elle imaginait sans difficulté l'expression désolée de Guizhong qui devait la dévisager, mais ses pupilles fixées vers le sol, comme si elle se faisait sermonner rudement, ne lui permettaient d'en être certaine.

« Peu importe combien de fois tu répéteras le passé, mon destin ne pourra jamais être changé. »

C'était la vérité qu'elle n'avait jamais osé formuler. Elle était trop cruelle, bien trop injuste pour elle-même. Jamais elle ne pourrait continuer de respirer l'air qui échappait à celle qu'elle désirait plus que tout, quel sens avait son existence si elle n'avait pas au moins le plaisir de contempler le rire de sa chère amie ? Au fond, elle en avait conscience, c'était juste son amour qui ne pouvait l'accepter, il était bien trop grand et puissant pour encaisser le choc de la perte de son contenant.

« Ça suffit Ping, tu dois apprendre à vivre sans moi. »

La chaise en bois glissa sur le parquet avant que la déité ne se relève et fasse volte-face. Sa tunique blanche flottait toujours autour d'elle, comme une traînée de flocons de neige, tandis que des pétales de lys d'un bleu intense décoraient ses cheveux châtains. Flâne-Sentir ne voyait que le dos de celle à qui elle avait dédié toutes ces années à ressasser le passé, dans cette vie, elle n'avait vu qu'une brève fois ses yeux bleus et tristes, on l'avait privé de la joie d'écouter ses bribes d'euphorie. Si la mort était une séparation douloureuse, celle qu'elles s'apprêtaient à vivre était la pire de toute.

« Je t'aime Ping. C'est pour ça que je souhaite que tu t'arrêtes. Tu mérites d'expérimenter le futur, de vieillir et de fouler les terres des humains que nous avons su protéger. »

L'adepte ramena sa main contre sa poitrine et serra le tissu qui la recouvrait.

« Promets-moi de vivre comme on y aspirait tant, même si je ne suis plus de ce monde, tu ne dois pas t'en priver pour autant. »

Guizhong continuait de lui tourner le dos, et elle essaya désespérément de trouver la force de lui tenir tête, mais le souffle de résistance lui manquait terriblement, autant que sa bien-aimée allait lui manquer.

« Je te le jure. »

À vrai dire, elle avait vraiment perdu le compte des fois où elle avait remonté le temps dans l'espoir de revivre quelques instants aux côtés de la déesse. Peu lui importait, les mathématiques, le bon sens, c'était réservé aux gens heureux, ceux qui n'étaient pas amoureux. Elle ferma ses paupières dans une souffrance absolue à cette idée, une nuée d'eau s'échappa de ses yeux humides, et elle eut à peine l'occasion d'entendre une brise légère avant de sentir que cette fois-ci, elle était bien partie.
Le Soleil est une étoile, et toutes les étoiles finissent par partir en poussière.

***

Seule sa conviction d'avoir protégé les autres planètes l'aida à se maintenir dans l'univers, bercée autour des autres étoiles, mais jamais par la plus brillante d'entre elles.

Le Soleil et la Lune [GUIPING] Where stories live. Discover now