1 -Chris

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Assise sur mon lit, j'examinais pour la troisième fois de la semaine la disposition des meubles de ma chambre. Je pourrais les changer de configuration, encore une fois, pour tenter de trouver un peu de renouveau. Il était clair que cette disposition-là n'était toujours pas la bonne, car j'étouffais encore et toujours entre ces quatre murs.

J'aurais pu aller faire un tour. Il était vrai que je n'étais pas prisonnière de cette chambre, juste de cet arbre. Je savais que je n'avais pas le droit de me plaindre. Je vivais dans les hautes branches de l'arbre céleste, dans lequel toute la ville avait été creusée. C'était un immense palais qui atteignait des centaines de mètres de hauteur. Seulement cela faisait 21 ans que j'étais confinée dans ce fichu ficus géant, j'en connaissais les moindres recoins. Et chaque sortie de ma chambre rimait avec des courbettes, des protocoles et des conversations hypocrites à base de « vous êtes ravissante princesse Christalia », « vos cheveux bruns rayonnent de toute leur splendeur aujourd'hui princesse », « cette nouvelle tenue à base de boue et de feuillages vous sied à merveille princesse Christalia »...

Je n'en pouvais plus. À la simple idée de poser un pied en dehors de cette chambre et de devoir subir le bal des faux-culs, je m'en laissais tomber sur mon lit en poussant un soupir de rage. Ça avait été ça toute ma vie, mais depuis 10 ans maintenant, depuis que mon père était devenu président du conseil elfique plus précisément, c'était encore pire qu'avant. J'avais désormais la chance de siéger moi aussi aux réunions du conseil, et comme si mon avis avait une quelconque chance d'influencer les décisions de mon géniteur, tout le monde s'adressait à moi comme à une oreille attentive à leurs requêtes. J'avais envie de leur crier que je faisais de la figuration dans cette fichue salle du conseil, j'étais là pour la déco et voter en faveur de mon papounet pour qu'il y ait un semblant de démocratie dans ses prises de décision.

En parlant de cette comédie, trois coups furent portés à ma porte par l'un de mes gardes du corps pour me rappeler qu'il était temps de retourner jouer mon rôle. Je les suivis donc, à contrecœur, dans la multitude d'escaliers qui menait à la salle du trône et y pris ma place sur mon tabouret habituel alors que les autres membres de conseil s'installèrent sur les leurs en attendant que mon père vienne occuper la plus grande chaise.

Il mit d'ailleurs plus d'un quart d'heure avant de nous faire l'honneur de sa présence, et nous rejoint accompagné d'une énorme armoire à glace d'une soixantaine d'années qui n'était certainement pas un Elfe.

Ce dernier prit place aux côtés de notre président, restant debout les mains dans le dos. Le monsieur en imposait et n'avait pas l'air commode... Sa carrure était trop imposante pour celle d'un Mendrid, ses yeux bleus démontraient qu'il n'était pas un Asime et sa peau mate m'incita à penser qu'il s'agissait d'un Fenrir.

— Mesdames et Messieurs, déclara mon paternel, je déclare cette réunion du conseil Elfique ouverte. L'ordre du jour concerne nos territoires en Terres purifiées. Pour cela, j'ai convié aujourd'hui l'un des conseillers Fenrir ici présent.

J'avais raison ! Un Fenrir ! C'était la première fois que j'en voyais un en vrai ! C'était très excitant. Il fallait vraiment que je trouve un moyen de convaincre mon père de me laisser voyager avec lui pour sortir de ce maudit arbre.

— Nous sommes tous au courant qu'il nous faut établir un gouvernement dans nos nouvelles colonies.

Il parlait des Terres purifiées. Une centaine d'années au paravent, les terres maudites étaient le territoire des succubes. Peu avant la grande bataille d'Emmerson, l'Archange les avaient annihilées et avait purifié ces terres en les débarrassant de toutes traces de magie noire qu'elle contenait. D'où leur nouveau nom "Terres Purifiées". Durant un long temps après ces événements, personne n'avait osé franchir leur frontière, de peur qu'il reste un peu de magie noire ici où là. Mais depuis une cinquantaine d'années, des Elfes et des Fenrir, trop à l'étroit sur les territoires que les empires Mendrid avaient bien daigné leur accordé, s'y étaient établis pour y être tranquille.

Il s'est avéré que ces terres étaient très riches, regorgeant de minerais et d'une fertilité sans commune mesures. Depuis, une véritable communauté s'était établie, rassemblant les "Colombs" de toutes les origines. Mais la population était, pour l'essentielle, composée de Fenrirs et d'Elfes. Les dirigeants des deux peuples cherchaient donc, d'après les dire de mon père, à les diriger à distance, ce qui s'avérait difficile.

— Après de longues heures de réflexion, continua-t-il, nous sommes parvenus à un arrangement. Nous avons décidé, d'un commun accord avec le peuple Fenrir, d'y établir une monarchie. Ne pouvant pas choisir un seul monarque pour unir nos deux espèces, il a été décidé d'un mariage entre la fille du plus puissant de leur Alpha et de ma fille Christalia.

Hein ?

J'écarquillais grand les yeux à l'entente de cette nouvelle. Pardon ? On allait me marier à une inconnue pour diriger un pays et c'est comme ça qu'il me l'annonçait. Je ne pus me retenir.

— Est-ce que j'ai bien entendu ? Demandai-je sans trop me soucier du protocole. Je vais devenir reine d'un pays dont je ne connais rien et m'unir pour le reste de ma vie à une Fenrir que je n'ai jamais rencontré ?

— Tu as bien entendu, dit-il comme si c'était une nouvelle des plus communes. Mais rassure-toi, tu auras le temps de te renseigner, le mariage n'est pas prévu avant la semaine prochaine.

Dans une semaine ? Il était sérieux ! On ne me demandait même pas mon avis !

Mariage arrangé loin d'EmmersonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant