Nous brûlerons ensemble

1 ♦ Tout reste à faire

This is a love story.

Un cri de douleur extrême surprend Elaena en plein sommeil. La tête légèrement relevée, les oreilles aux aguets, la jeune adolescente attend de voir si le bruit d'origine inconnue se répète. Après un court silence, le même son strident lui parvient de loin. Dehors, le jour se lève à peine. Que peut bien provoquer une telle agitation au sein du château à cette heure matinale ? Maintenant bien réveillée, Elaena repousse le confort des couvertures, se redresse sur ses deux pieds encore engourdis et enfile la longue robe de chambre qui reposait non loin de son lit. La jeune targaryenne remercie tous les jours les dieux de la chance de jouir de ses propres appartements. Bien que beaucoup plus modeste que les chambres royales, elle chérie néanmoins ce lieu de refuge loin des affaires de la cour.

Poussée par sa curiosité naturelle, Elaena passe une tête blonde en travers de la porte, se penche à gauche puis à droite. Rien d'anormal ni personne à l'horizon. Le froid des premières heures du jour s'engouffre dans sa chambre. Il faudra penser à rallumer un feu dans la vieille cheminée. Resserrant les pans de sa robe autour de sa taille, elle se décide à arpenter les couloirs encore sombres à la recherche d'informations sur la source du grabuge. De nouveaux cris, qui lui paraissent maintenant familiers, la guident sur son chemin. En approchant du couloir qui mène aux appartements royaux, elle rencontre une servante, une pile de linges propres entre les mains.

-Pardonnez-moi, que se passe-t-il ?, l'apostrophe Elaena.

-Le travail a commencé, Mademoiselle, lui répond la femme de chambre avec une légère révérence. L'héritier du trône naitra aujourd'hui, si les dieux sont cléments.

L'emploi du mot héritier fait légèrement tiquer Elaena. Le roi Robert Hightower a déjà un enfant, une fille prénommée Catryn, aussi fidèle amie d'Elaena. Les deux jeunes femmes sont nées à quelques jours d'intervalles et viennent tout juste de fêter leurs dix-sept ans. Si la reine donne naissance à un garçon, il supplantera Catryn dans l'ordre de succession, comme le veut la tradition ancestrale. A l'instar de la princesse, qui fait preuve de résignation et de calme face à cette situation, Elaena s'insurge de cette injustice. Elle prend cependant bien garde de crier haut et fort ses pensées révolutionnaires.

Malgré cette réticence à voir son amie d'enfance reléguée au second plan, Elaena espère de tout son cœur que l'enfant naitra en bonne santé. Fausse couche après fausse couche, la reine tente d'avoir un second enfant depuis des années. Une grossesse menée à terme apporterait sérénité et tranquillité à la reine consort. La mère d'Elaena aillant succombé à la maladie il y a bien des années, la reine Margaret est ce qui se rapproche le plus pour elle d'une figure maternelle. Les cris de plus en plus forts et de plus en plus nombreux ne rassurent pas Elaena. La mère en devenir semble plongée dans une souffrance terrible.

Au détour du croisement suivant, Elaena se stoppe net en apercevant la Main du roi, qui n'est autre que son père, en grande discussion avec le roi lui-même ainsi que le mestre royal. De peur qu'il la découvre en dehors de ses appartements à cette heure-ci, Elaena se dissimule derrière l'une des larges colonnes de pierre. De sa cachette, elle perçoit des bribes de leur conversation.

-Vous devez faire un choix votre altesse, le presse le mestre.

-Vous rendez-vous compte que vous me demandez de choisir entre ma femme et mon enfant ?

-Si l'enfant n'est pas sorti rapidement, il mourra.

Elaena perçoit la détresse sincère dans la voix du roi. Ce dernier se tourne vers celui en qui il place sa confiance, Aegar Targaryen, le père d'Elaena.

-Vous devez penser en tant que roi Sir, à ce qui est le mieux pour le royaume.

Un court silence emplit les lieux, pendant qu'une autre servante repasse avec un panier de draps, imprégnés de sang frais cette fois.

-Faites le nécessaire pour sauver l'enfant, souffle le roi avec résignation.

Elaena entend les portes claquer et les trois personnes qui viennent de décider du sort de la reine consort disparaissent de sa vue. Pétrifiée par ce qu'elle vient d'entendre, Elaena reste cloitrée dans sa cachette. Quelques secondes plus tard, ce sont des hurlements de peur et non plus de douleur qui viennent envahir l'espace. Une main devant la bouche pour s'empêcher d'hurler elle aussi, Elaena ne peut qu'imaginer la scène qui se joue à quelque pas. Un lourd silence finit par s'installer, d'autant plus terrifiant qu'aucun cri de nouveau-né ne vient le troubler.