Nous brûlerons ensemble

5 ♦ On se tourne autour

Lors du banquet en l'honneur des victorieux, Elaena parvient à peine à adresser un bonjour à Daemon. Les hommes se retrouvent rapidement intoxiqués par l'alcool et les femmes sont injustement priées de laisser les guerriers profiter de la soirée entre eux.

Le lendemain, Elaena arpente les nombreux couloirs du palais à la recherche de son cousin. Elle finit par tomber sur l'un des lieutenants revenus du Détroit avec Daemon. Le chevalier lui indique avoir laissé son commandant à l'entrée de la salle du trône. Elaena rebrousse chemin jusqu'à l'endroit indiqué et pénètre dans la vaste salle. Elle ne pensait pas le trouver dans ce lieu hautement symbolique. Le ciel est gris dehors mais les grandes fenêtres laissent pourtant filtrer un voile de lumière qui balaye l'immense pièce.

Daemon se tient droit devant le trône, dos à elle. En silence, elle le rejoint jusqu'à se positionner à sa hauteur. Il baisse les yeux vers elle, lui sourit avec complicité avant de ramener son regard vers le trône de fer. Le siège de toutes les convoitises se dresse admirablement, entouré d'une multitude d'épées au bout tranchant.

-Mes félicitions pour ta victoire.

-Merci Elaena.

Son regard reste étrangement fixé sur le trône.

-A quoi penses-tu ?, lui demande-t-elle.

-A beaucoup de choses à vrai dire. A nos ancêtres qui se sont tenus là un jour.

-Je pense qu'ils seraient fiers de toi aujourd'hui.

Daemon se tourne enfin vers elle, le regard pensif.

-Peut-être, ou peut-être aurais-je du faire plus.

Comme défier ouvertement le roi ? Elaena aussi aurait aimé avoir un rôle plus important, plus respectable que de courtiser le monarque actuel. Comme elle, les deux enfants du dernier souverain Targaryen étaient des femmes. Les Hightower ont profité de l'absence d'héritier mâle pour prendre le pouvoir. Sa grand-mère et celle de Daemon ont été chassées de Port-Réal et déchues de leur titre de princesse de sang royal. Malgré cette injustice, elles ont pu compter l'une sur l'autre, se sont chacune mariées et ont vécu une vie recluse mais heureuse loin de la cour. Les Targaryen ont aujourd'hui établi leur fief à Peyredragon, où la mère de Daemon assure l'intendance depuis le décès de son époux.

-J'ai quelque chose pour toi, lui annonce Daemon.

Il lui prend la main et l'entraine près d'une fenêtre, sous la lumière du jour. D'une de ses poches, il sort un magnifique bijou, un collier surmonté d'un pendentif fait de trois cercles entrelacés et abritant une pierre précieuse rubis.

-Oh, souffle Elaena avec admiration.

-Tourne-toi, lui commande Daemon.

Obéissante, Elaena lui tourne le dos et relève sa longue chevelure puis lui donner accès à sa nuque. Le collier apparait devant elle et se pose élégamment sur le haut de ses clavicules. Les mains de Daemon effleurent son cou lorsqu'il actionne la fermeture et la jeune femme frissonne légèrement. Elle se retourne face à lui, le sourire aux lèvres.

-Merci. Il est magnifique.

Daemon lève la main et se saisit du pendentif, effleurant au passage le haut de sa poitrine.

-Il te va très bien, la complimente-t-il en ne la quittant pas de yeux.

Il laisse retomber sa main et tous deux semblent pris au dépourvu par ce rapprochement. Pour dissimuler la légère tension dans l'air, Elaena l'invite à lui raconter son périple. Non sans plaisir, Daemon lui conte sa dernière aventure et ses exploits dans les Degrés de pierre.

-Que vas-tu devenir maintenant ?, questionne Elaena.

-Le roi m'a offert de devenir le commandant du Guet de Port-Réal avec pour objectif de faire régner l'ordre dans les rues.

-Avec près de deux milles hommes sous ta juridiction. Voilà une sacrée promotion.

-Certes.

Daemon semble pourtant indécis.

-Pourquoi ne pas accepter ?

L'idée d'avoir Daemon plus souvent dans les parages ne déplait pas à Elaena. Sondant la pièce du regard, Daemon lui prend la main et l'entraine vers la sortie.

-Viens, sortons dans les jardins.

Une légère trouée dans les nuages éclaircit le parc intérieur où se dirigent Elaena et Daemon. Tous deux passent devant l'arbre sacré érigé au centre avant de s'arrêter sous un préau, à l'abri des oreilles indiscrètes. Daemon choisit de lui parler en utilisant le haut Valyrien, langue que très peu de personnes connaissent encore.

-Je soupçonne le roi de me proposer ce poste pour me garder à l'œil et que je reste tranquille.

-C'est fort probable, approuve Elaena.

-Et puis, je renoncerais à ma liberté, un peu.

-Je donnerais beaucoup pour avoir ne serait-ce qu'un centième de ta liberté, soupire-t-elle.

Il la sonde intensément un long moment, la tête légèrement penchée sur le côté, comme s'il essayait un instant de se mettre à sa place. Un peu gênée par cette intrusion dans son esprit, elle baisse les yeux la première.

-Tes aventures, elles semblent t'avoir changé, remarque-t-elle.

-Les années t'ont changée également, constate-t-il.

Elle relève les yeux, lui adressant un sourire timide.

-J'estime être l'un des seuls à percevoir ton véritable caractère, explique-t-il. Ce qui n'est visiblement toujours pas le cas de ton père.

-Mon père n'a qu'un objectif, me vendre au plus offrant et je crois qu'il vise la plus haute des places.

Daemon arque un sourcil. Sans être au courant des intentions d'Aegar Targaryen, il est assez intelligent pour deviner ses plans.

-Le roi ?

-Oui. Il me pousse vers lui. Pourtant, je n'ai pas l'impression que le roi cherche à se remarier. De toute façon, je l'ai décidé, je ne me marierai jamais.

Daemon retient un rire devant le ton effronté d'Elaena.

-Le mariage n'est que de la politique, répond-t-il. Une fois marié, on fait ce que l'on veut.

Pas tout à fait d'accord, Elaena relève farouchement la tête et s'approche un peu plus de lui.

-Pour l'homme c'est de la politique, pour la femme c'est une sentence de mort. Destinée à enfanter, jusqu'à en mourir. Je ne subirai pas le même sort que la reine.

-Ce que la reine a vécu est une tragédie, la contredit Daemon en secouant négativement la tête.

Elaena garde un moment le silence avant de livrer le vrai fond de sa pensée. Elle se sent en confiance avec Daemon.

-J'ai peur, avoue-t-elle. J'ai peur de l'avenir.

-Si tu vis dans la peur, tu ne découvriras jamais les merveilles de ce monde.

-Et quelles sont ces merveilles si je peux me permettre ?

-Tu es décidemment restée trop longtemps enfermée dans ce château.

Il se penche à son oreille pour lui faire une proposition des plus incongrues.

- Retrouve-moi à minuit ce soir à la sortie des cryptes. Et habille-toi de manière à ne pas être reconnue.