J'enfonçais deux doigts entre les côtes de la femme emmêlée dans les couvertures. Il y eut un cri, un enchevêtrement de draps informes avant que ce dernier ne bascule du matelas posé sur deux palettes. Je ricanais, tout en me dégageant et ouvrais les rideaux d'un geste ample.
"Debout là-dedans !"
Quelques marmonnements indignés me répondaient tandis que mon regard plongeait à travers la vitre. Du haut du sixième étage, j'observais la ville s'éveiller dans la clarté grandissante et matinale de cette fin de printemps. Il faisait meilleur et j'étais heureuse de pouvoir porter autre chose que des vêtements d'hiver. Aujourd'hui, j'avais jeté mon dévolu sur un short en jean élimé, un débardeur aux couleurs fades et une veste en cuir brun qui devait cacher mes épaules et surtout le couteau que je portais en permanence dans un fourreau dans le bas de mon dos. Il s'agissait d'un simple couteau de cuisine que j'avais aiguisé moi-même. Bientôt, il tomberait en morceaux. Mais quand on en avait besoin, n'importe quelle arme pouvait ressembler à une véritable amie.
"Sélénia !"
J'entendais gémir ma sœur qui sortait enfin la tête des draps usés. Sa frimousse enfantine contrastait avec son âge. Vingt-deux ans, comme moi. Rosalie - ou Rose comme je l'appelais toujours - était une femme aux cheveux naturellement rose pastel. Ils descendaient en bataille sur ses épaules couvertes d'une chemise trop grande pour elle. Ses grands yeux verts me fixaient alors que je me mettais à rire.
"Qu'est-ce qu'il y a, petite sœur ? Je te réveille de trop bonne heure ?!"
Une main sur la hanche, je haussais les épaules devant une nouvelle plainte de sa part. Il fallait garder un rythme de vie, si on ne voulait pas se laisser dévorer par cette ville. Le travail était rare pour les gens comme nous. Mais aujourd'hui, j'espérais qu'elle aurait quelques clients. Ses compétences dépassaient de loin les miennes, quand il s'agissait de s'occuper de malades. Elle était patiente, attentionnée, et très compétente... tout ce qu'on pouvait espérer d'une bonne infirmière. Mais les gens ne voyaient pas ça. Ils ne voyaient que ses cheveux, reflets de notre nature profonde et détestée par beaucoup.
"Aller je file. C'est le jour du marché, et on a besoin de fournitures."
Entre autres de savon, de quoi recoudre nos vêtements, de graines à planter sur le balcon, ainsi qu'un peu de nourriture... spécifique. Cette dernière n'était pas facile à trouver, par les temps qui couraient. Je pouvais me nourrir comme les autres, mais on pouvait s'apercevoir à ma peau presque translucide qu'un régime à base de céréales et de légumes ne me convenait pas. Je tentais de garder bonne figure, donnant à ma sœur le nécessaire. Certains diraient que je ne faisais pas attention à moi. Personnellement, je préférais dire que je savais où étaient mes priorités.
Sans attendre la réponse de Rose, je me détournais. Je quittais la chambre à coucher pour le salon. J'avais déjà replié le canapé-lit que j'utilisais. Un ressort supplémentaire avait trouvé son chemin à travers la mousse et avait fini par découvrir la couleur du soleil, mais ce n'était pas bien grave. Sur la petite table en bois, j'avais préparé ce qu'il fallait : trois tranches de pain, et ce qui devait s'apparenter à du pâté de porc. Il y avait un élevage pas loin et je m'entendais relativement bien avec le fermier. Je lui avais déjà rendu quelques services et, de temps à autre, il savait se montrer reconnaissant. Je frissonnais à ces souvenirs, mais ça en valait la peine.
Je verrouillais la porte derrière moi, assombrissant immédiatement le couloir. Mon sac à dos sur l'épaule, je reniflais par deux fois et retroussais le nez. Quelqu'un devait être revenu ivre et avait vomi dans un angle de couloir. Je m'écartais et mes chaussures de cuir claquèrent dans les marches de l'escalier que je descendais quatre à quatre. Je n'avais jamais compté combien faisaient six étages, mais je parvenais à les monter sans effort, depuis le temps que j'étais ici, en compagnie de ma jumelle.
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Les faucheurs
FantasíaDans ce monde post-apocalyptique, humains et autres espèces vivent ensemble. En harmonie ? Non, loin de là. Sélénia, une jeune femme au tempérament de feu et sa sœur jumelle l'expérimentent chaque jour. Elles survivent, tant bien que mal. Cependan...