E X P O S I T I O N

208 16 36
                                    


L'appartement – ou plutôt le studio, selon les points de vue – que lui avait dégoté l'administration de la prison était d'une simplicité accablante. Un salon-cuisine, une petite chambre ouverte, et une salle de bain-toilettes. Le tout revêtu de murs blancs, et d'un sol tristement gris. Taehyun ne s'était pas attendu à grand-chose, mais il avait tout de même été un peu déçu : il imaginait plus d'excentricité en dehors de la prison. À la place, son logement ressemblait presque simplement à une cellule pour prisonniers de marque.

Finalement, ça ne lui déplaisait pas tant que ça. Il n'était pas trop dépaysé, ainsi.

La seule chose qui lui faisait bizarre, c'était le bruit continu des voitures qui passaient dans la rue adjacente, la vue plus large que lui offrait son unique fenêtre et, plus que tout, l'idée qu'il pouvait sortir de cet appartement quand il le voulait. Il s'attendait presque à trouver la serrure verrouillée de l'extérieur quand il voudrait mettre un pied dehors. Quelque part, il se dit que ça l'aurait rassuré.

Sauf que ce n'était pas le cas.

D'un geste strictement inutile, il s'approcha de la poignée après avoir sommairement balancé son sac sur le lit. Il la détailla avec une attention excessive, superflue, avant de tendre lentement la main vers elle. D'abord du bout des doigts, il s'autorisa à la toucher réellement. Puis, plus concrètement, il appuya dessus pour l'abaisser.

La porte s'ouvrit dans un grincement de joints mal huilés.

Mais elle s'ouvrit.

Il déglutit. S'il avait su que la liberté lui donnerait une sensation si inconfortable, il y aurait peut-être réfléchi à deux fois avant de jouer au détenu exemplaire ces deux dernières années. Les bastons intempestives de Yeonjun qui lui valaient chaque fois quelques semaines en plus ne lui semblaient plus si vaines, et là, planté seul devant sa porte ouverte, il regrettait presque de ne pas y avoir pris part. S'il y avait participé, peut-être qu'il ne serait pas là. Peut-être que les juges l'auraient jugé encore trop agressif pour ne pas être un danger public en dehors des barreaux de la prison.

Peut-être qu'ainsi, il ne serait pas seul.

Un drôle de vertige le prit. Il secoua presque imperceptiblement la tête pour se remettre les idées en place, puis ferma la porte avant de se retourner vers l'intérieur tristement dénué de vie de son studio. Il aurait pu sortir. Profiter de sa liberté nouvelle pour explorer le quartier, se familiariser avec les alentours, peut-être même faire de nouvelles rencontres. Mais il n'en avait pas la foi.

Quelque part, il ne réalisait pas encore bien.

L'impression tenace qu'aucune des dernières heures n'était réelle ne le lâchait pas.

Il s'approcha finalement de son sac pour en sortir les quelques affaires qui lui appartenaient, puis rangea mécaniquement les vêtements dans la petite étagère, et le matériel de toilette dans la salle de bain. Il ouvrit ensuite les placards de sa cuisine-salon, avant de constater avec dépit que si l'essentiel de cuisine – casseroles, couverts, passoire... – était fourni, ils n'avaient en revanche pas pensé à lui donner de quoi manger.

Tant pis.

Il se passerait de repas pour ce soir.

De toute façon, Taehyun n'avait pas faim depuis qu'il avait quitté les épais murs gris du bâtiment où il avait passé toutes les dernières années de sa vie. Toute sa vie, même, il lui semblait parfois. Il s'allongea sur le lit aux draps d'un vert kaki douteux sans même se déshabiller, et se glissa sous la couette.

Une heure passa, bientôt suivie d'une seconde, puis d'une troisième.

Le sommeil ne vint pas.

Il passa toute la nuit à fixer le plafond et à écouter les battements anxieux de son cœur qui semblait incapable de se réjouir de ce qu'il avait pourtant attendu pendant des années. Ses pensées dérivèrent ; inéluctablement. Il pensa à Yeonjun. Yeonjun, qui n'était pas venu le saluer lorsqu'il en avait eu l'occasion, et qu'il ne reverrait sûrement plus jamais. Il hésita à lui en vouloir. Avec regret, il songea qu'il aurait bien aimé lui parler une dernière fois, rien qu'une seule ; il avait tout de même été ce qui se rapprochait le plus d'un ami pour lui.

Les jours perdus || TaebinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant