Chapitre 3 : J'ai une dette envers lui.

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À l'aube, à ce moment où le ciel était encore sombre, où les étoiles étaient encore brillantes, où les réverbères des rues crachaient encore leur affreuse lumière orangeasse, et dont l'horizon semblait être maculée, Thérèse attendait. Au-dessus de sa tête, le ciel était brumeux, uniformément gris. Comme masqué par un brouillard laiteux, traversé par des lignes nébuleuses ou teinté d'une couleur d'acier et de cendres. À Paris, d'imposantes structures de pierres et de verres se détachaient, hautes et ahurissantes, au-dessus des nuages. Les constructions pointaient telles des aiguilles scintillantes. Sur cet horizon immense de monuments grisâtres, le ciel bas se fondait en poussière, comme amené par un souffle de vent, qui dansait avec des noirceurs. Tout était d'une tristesse navrante. Et le ciel pleurait. La pluie s'était mise à tomber, mais, ce n'était que de légères gouttes, qu'un crachin humide, qui mouchetaient le sol pavé de cailloux de petites tâches sombres. Thérèse attendait, demeurant sous ce porche, et, ceux qui étaient au dehors avaient ouvert leurs parapluies. De temps à autre, elle marchait, allait cracher dans la poussière, par propreté, et, ensuite, revenait à sa place, près d'une grosse colonne de pierre, la tête basse, les yeux éteints. À quatre heures et demie du matin, les voyageurs étaient réunis dans la cour de l'auberge, où l'on montait et descendait de voiture. Thérèse était encore pleine de sommeil, et grelottait de froid sous sa légère chemise avec ses poignets en dentelles. Des pieds de chevaux frappaient le pavé, amortis par le fumier des litières, et, parfois, une voix d'homme parlant aux bêtes, jurant et crachant s'entendaient du fond de la cour. Des hommes, resserrant leurs longs manteaux de cuir sur leurs torses, et, des femmes, enfonçant de grands chapeaux à plumes et à frou-frous sur leurs têtes, se pressaient sur les trottoirs, les épaules voutées, luttant contre le vent qui transportait avec lui les cendres de la terre et la puanteur de crottin de cheval.  Les formes étaient floutées derrière un voile de poussière, les choses étaient poudrées d'une mousse glacée, et l'on entendait, par-dessus, dans les grands silences de l'aube, ce bruissement vague, confus et timide, de la pluie qui tombe et descend vers la terre. Aux alentours la rumeur des rues s'étendait, doucement, des voix s'élevaient avec, et quelques brides des conversations de vieilles mondaines parvenaient jusqu'à ses oreilles.

-       Vous rendez-vous au bal de Monsieur de Villepin, ma chère ? Demanda une femme à la chevelure blonde, au teint ridé et avec de grands yeux arrogants, en s'éventant d'une main. Agathe, ma fille, est impatiente. Nous lui avons acheter une robe de mousseline blanche, pour l'occasion. De la dernière des modes !

Thérèse avait le cerveau embrumé, elle se mouvait maladroitement sur place, trépignant d'un pied sur l'autre, et ces paroles n'étaient qu'un cri vaporeux, qu'une vielle ritournelle qui berçait les brumes de son esprit. L'atmosphère de la ville n'était qu'une sensation sur la peau, qu'une lourdeur sur les épaules, que des atomes qui emplissaient l'espace et couvraient le monde. Ce lent défilé de voitures, de voyageurs et de passants devenait une musique pleine de douceur qui apaisait les besognes quotidiennes, les vieilles blessures, et, qui donnait aux âmes agitées et opaques un paisible repos. Un rideau de pluie fine faisait miroiter de milles couleurs, comme à travers les facettes d'un diamant, la lumière pâle d'un soleil levant. L'aurore montait, peu à peu, et, avec, la brume se dissipait, et, avec, une ombre gonflait, comme un nuage gris et inquiétant dans un ciel clair, dans le crâne de Thérèse. Elle regardait la pluie et le ciel comme s'ils eurent été, pour elle, une sorte de recueillement qui rendait l'âme plus sensible. La pluie semblait se poser sur son cœur de pierre et l'émousser. Elle s'en allait à la rêverie. Comme un rocher émergeant de l'eau, lentement, remontait à la surface de sa mémoire, un ancien souvenir. Elle ferma les yeux, se frotta le visage, et elle était de nouveau en province, des années auparavant. Elle avait marché vers la place du village, un panier à la main, plein des petits pains que la mère Françoise avait été commandé à son père, boulanger. Derrière elle, Charlotte l'avait suivie, sur ses pas, le nez plongé dans un nouveau roman qu'elle avait été emprunté à la bibliothèque du village. Thérèse se souvint de ce jour. Elle se souvint avoir eu la tête pleine. La tête chaude, douloureuse, comme écrasée entre les mains d'un Hercule. Des rires avaient soudainement fusé. D'abord, elle n'avait su affirmer d'où était provenu ce bruit ignoble. Thérèse s'était retournée, d'un seul mouvement, faisant tourner les jupes de sa robe. Son cœur avait battu à la chamade, ses mains étaient devenues moites et son crâne était distraitement étourdi. Une douleur manifeste s'était nouée dans sa nuque engourdie, comme si une main maligne avait été tricoté avec ses nerfs trois nœuds douloureux. Sur la place du village, près d'un gigantesque fiacre doré, peint de magnifiques motifs et constellé de dorures, s'était tenu un jeune homme. L'air malicieux, portant sur son visage la courbe d'une sourire ingrat, Louis s'était tenu droit comme i, fière comme un lion. Ses longs cheveux blonds avaient été retenus en une queue de cheval, ses cils de jeune vierge avaient battus dans l'air moite, dans l'air suave, dans l'air tiède des après-midis de printemps et ses mains lisses, élégantes, blanches comme des fleurs avait été parsemés de plusieurs bagues et diamants.

Au coeur de ParisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant