Chapitre 2 : Je te tuerai

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Au cœur de Paris, les pieds déchaussés, et ses bottes suspendues à son index, Thérèse marchait, à pas feutrer, s'efforçant, tant que possible, de faire le moins de bruits. Elle parcourait les couloirs, tournait à droite, puis, à gauche, s'aventura dans un coin, puis, un autre, avant d'arriver devant la porte de sa chambre. Une lourde porte en bois où un esprit énervé et une main ferme avaient gravé, dans la chair d'un arbre, à l'aide du couteau le plus aiguisé, ces lettres grossières et ces traits tremblants qui formaient le message inquiétant de « je te tuerai ». Des doigts blancs et habiles s'infiltrèrent entre les pans d'une longue tunique et découvrirent, entre les froissements du tissu, une clé en fer forgée. Un déclic, et la serrure céda, et la porte s'ouvrit, dans un grincement inquiétant qui mis en alerte tous les sens de Thérèse. Son visage articulait une grimace, en même temps que, ses doigts tentaient de contrôler difficilement leurs tremblements. Le soleil s'était couché, la lune s'était levée et les voyageurs de l'auberge, où Thérèse avait trouvé asile à Paris, dormaient à point fermé. Elle pénétra dans la pièce, et, Louis la suivit sur ses pas. Ils rentrèrent, tous les deux, dans la chambre de Thérèse, sans un bruit. Thérèse ferma la porte, et, expira longuement. Son souffle s'accéléra ; il n'avait été qu'une boule de coton coincé dans sa gorge jusqu'à alors. Elle s'était interdite de respirer depuis qu'elle avait posé le pied au-dessus de la première marche de l'escalier qui menait à l'étage. Son souffle s'accéléra à nouveau ; cela lui fit mal. Elle porta une main à sa poitrine, et, déglutit. Sa gorge était sèche, et, sa salive avait un goût étrange. Une odeur de sang, puissante et métallique, inonda sa bouche, puis, une saveur sévère et amère se répandit sur son palais. Le bout de sa langue alla tendrement caresser l'intérieur de sa joue : la viande était à vif et une plaie la déchirait. Ses dents avaient mordu dans la chair lorsque sa tête avait heurté le mur de cette arcade sombre, tantôt. Thérèse fit la grimace. Ses petites douleurs égayaient ses jours, maintenant. Ses nouveaux jours à Paris, dans cette chambre. Elle leva le menton, battit des paupières et allongea son regard. La pièce paraissait nue, glaciale ; Thérèse se satisfaisait de cette austérité.

C'était une chambre sévère et minimaliste qui n'était que la réplique exacte de tant d'autres dans cette auberge. Un lit étroit, en bois massif, un vieux lit de chêne à colonnes, trônait au centre de la pièce, faisant face à la porte d'entrée. Sur la gauche, près d'une petite table nuit, où reposait une modeste lampe à gaz, dans un coin, demeurait une haute armoire à glace, qui servait chaque jour à Thérèse pour s'habiller, mais, où la jeune fille avait horreur de se regarder, des pieds à la tête, les fois où elle passait devant. A droite, une seule fenêtre, une large fenêtre, creusée en profondeur dans le mur et entourée de solides pierres, laissait filtrer quelques rayons d'une lune éclatante qui inondait la chambre dans une ambiance étrangement réconfortante. Louis se détendit, peu à peu. Il desserra la mâchoire, et, il admira la vue. Les étoiles blanches avaient, dans les grandeurs d'un ciel noir, un scintillement frémissant. L'immensité du ciel avait toujours su calmer ses angoisses d'enfant, ses vastes chagrins et ses ennuis légers, qui remplissaient de leurs poids cette petite et mignonne tête blonde, mais, ce soir, l'éther lui collait à la peau, le coffin de l'univers étoilé l'étouffait, et la lune, et les étoiles, semblaient être réunis, ensemble, rieurs, au pied de son échafaud. Il détourna le regard. Une malle, qui était vieille, posée contre le lit, était la seule excentricité de cette pièce. Elle était aussi les seules affaires personnelles que Thérèse avait apporté de sa province natale. N'imaginez pas, dedans, des trésors, beaucoup de linges, des pommades, des bijoux, des portraits peints de ses parents ou des romans d'amour. Le cœur de Thérèse était stoïque face à ces choses. La jeune fille ne se suffisait que de l'essentiel ; elle n'était pas fille de ce siècle, occupée à ses plaisirs. Le silence les enveloppait, de son long, large et léger voile, comme de mousseline ou de gaze, suspendu, en l'air, dans l'atmosphère, comme pour les préserver de quelques importunités, et, aucun des deux ne semblaient vouloir le déchirer. Ils le gardaient, précieux, entre eux, et il semblait que c'était la nuit ! la nuit et l'obscurité qui leur offraient ce petit morceau d'étouffe. Louis n'avait pas bougé, les pieds collés au sol, l'air grave, le regard vague. Thérèse ne lui prêta pas une parcelle d'attention, et, disparut derrière une porte. Elle laissa ce jeune homme à sa pathétique incompréhension. Il avait sur le visage tous les traits de l'incompréhension, de la réflexion et de la méconnaissance.

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