La salle de bal possède de larges murs et un haut plafond, d'où pend un majestueux lustre en cristal, étincelant à chaque caresse des rayons de la lune, qui émanent des longues fenêtres. Thérèse entre dans la pièce ronde. Sa robe en mousseline bleue lèche le parquet de danse. Ses talons hauts qui battent les planches comme une enclume bat le fer meurtrissent ses pieds. Le corset qu'elle porte sous sa robe écrase ses cotes qui semblent perforer ses muscles. Son chignon pèse comme une lourde couronne sur sa tête, et les épingles dorées qui soutiennent sa coiffure griffent son crâne. Elle lève la tête. Cette salle de bal lui donne le tournis. Les murs écrus sont recouverts de fines dorures qui se mélangent, avec la grâce de l'esthétique, avec la douceur de la beauté, à de sobres moulures blanches. Au plafond, est peinte une magnifique fresque qui narre une tumultueuse histoire d'anges adorables, s'attrapant les ailes et se taquinant dans les cieux. Elle allonge son regard, un peu plus et hausse les sourcils, haut sur son visage terne. L'extraordinaire lustre en diamant surplombe de toute sa prestance le parquet étincelant. La salle est bondée. Les gens de la haute société dansent ensemble, et les femmes, et leurs robes ressemblent à des fleurs de nénuphars tournant à la surface de l'eau. L'orchestre joue une valse. Les violons couinent une harmonie intense, au milieu d'une belle mélopée, qu'accompagnent les vents de grandes flûtes en bois. Une nausée vient à ses lèvres, et elle la refoule, avant de progresser au milieu de la foule. Soudain, quelqu'un la saisit par l'épaule. Elle sursaute, doucement sur elle-même, en secouant ses épaules, et alors que chaque muscle de son corps se raidissent, une voix s'élève :
- Mademoiselle Bernard.
Elle se retourne et se retrouve face à Louis de Navarre. Son visage est à la fois lumineux, pathétique et agréable. Il inspire à Thérèse un éclat fragile à l'aspect luisant et poli, et son regard, qui reflètent les éclats de la lune, est embrassé de mille feux. Ses cheveux blonds, qui caressent avec gentillesse son front lisse et nerveux, donne à ses expressions de jeune homme un air enfantin, presque candide. Il semble qu'une brise venue de l'est, qu'un vent de fraicheur, comme un hôte gracieux et élégant, s'invite et soulève quelques mèches. Cette image est belle. Comme la vision d'un petit ange tombé du ciel. Les cheveux lâches et le regard brillant, il ressemble à un ange. Le corps de Thérèse se raidit instantanément et son cœur rate un, deux ou trois battements. Ses lèvres fines dessinent le sourire le plus triste qu'elle n'a jamais vu. Elle a l'impression que son sourire, comme un trait de pinceau sur ses lèvres, délicat et délié, est le reflet d'une fissure sur son cœur. Il porte une veste en queue de pie, une chemise noire et des gants blanc immaculé. Thérèse se dit qu'il a l'allure d'un prince.
- M'accorderez-vous cette danse, mademoiselle Bernard ?
L'orchestre joue un morceau, lent et léger, qui a les accents du langage des anges et qui tutoie les nuages. Louis s'approche de Thérèse et, pliant les genoux, lui fait la révérence. Elle dit oui, sans en avoir conscience, ignorant l'état réel de son cœur et de ses sentiments. Il prend sa main de ses doigts brûlants et l'attire contre lui. Elle sent son souffle dans ses cheveux, la fièvre émanant de son corps. Elle voit avec une netteté étrange les pulsations de son cœur dans sa gorge, son sang qui pulse sous sa peau. Une vague de chaleur l'envahit, et elle en est stupéfaite. Une main s'accroche à sa taille, elle relève la tête, et leurs regards se croisent. Comme une flèche enflammée, comme un pieu incandescent, comme une aiguille chauffée à blanc. Son front est touché, brûle d'une ardeur inattendue : son visage s'embrase. Son cœur se met à battre dans sa poitrine. Elle sent les os de sa cage thoracique sur le point de rompre. Ils commencent à danser, et le monde semble disparaitre, et la terre semble avoir explosé. Un nuage gris, de peine et de poussières, grossit dans son crâne. Retenant le corps de Thérèse dans ses bras, sentant la peau de Thérèse, enveloppée dans une mousseline moelleuse, frémir sous la pulpe de ses doigts, Louis exhale en lui-même un désir brutal, précis, un désir qui coule sur ses mains posées sur la taille de Thérèse, un désir qui imbibe les contours levés de sa robe légère. Les conversations des mondains sont un bruit de fond machinal, qui ne parvient pas à obstruer des esprits calmes et tranquilles, qui semble flotter léger comme une plume et auquel les danseurs ne prêtent pas attention. La musique est un chuchotement, comme un murmure du vent, qui caresse les oreilles, mais qu'ils n'entendent pas. Chaque note vibre sous leurs peaux, se mêle à leurs sangs ou roulent à côté de leurs chairs, chaque note caresse d'une main de velours leurs esprits. Quelque chose de particulier se dégage à les voir danser ensemble, ainsi, l'un contre l'autre. Leur danse, sans qu'ils en aient tout à fait conscience, les porte jusqu'à l'extérieur. Ils se séparent en arrivant sur un balcon qui jouxte la salle de bal, qui domine le jardin de la demeure de monsieur de Villepin. Ils ont quitté l'ambiance pleine et lourde, que la chaleur des corps et le vent des danses rendent désagréable, de la salle de bal. Dehors, la brise est froide. Un souffle d'air fouette les joues, hautes et rebondies, de Louis, d'une tendre caresse qui sait relever sa tension, qui mue son corps d'une énergie nouvelle. Un pâle rayon de lune parvient à percer le brouillard et semble se détacher de la brume blanche. La silhouette de Thérèse, tracée d'un trait fin et délicat, comme dessinée par un talentueux pinceau, sur la noirceur des nuits d'été encore un peu lumineuse, lui fait face. Il se permet un regard. Son front est lisse et, en-dessous, brille d'un éclat particulier ses iris marrons. Son visage, auréolé de la splendeur de la lune, baigne dans une expression d'inquiétude : Louis veut effacer de ses doigts la ride sur ce front. Elle porte une robe de mousseline bleue, qui moule sa taille, ses hanches, sa poitrine et ses bras d'une manière provocante et coquette. Louis éprouve un trouble singulier, une sorte de gêne, presque un malaise dont il ignore la cause, dont il ne saisit pas l'origine. Thérèse remarque une fumée et une explosion d'argent se refléter au fond de ses prunelles mais, mise au supplice, prise d'un malaise singulier, elle détourne le regard. Elle contemple ses mains. Ses fines et petites mains dans des gants blancs, recouvrant ses bras entiers et montant jusqu'à ses coudes. Elle se soutient avec gratitude, contre la balustrade du balcon : la solidité de la pierre rassure son cœur, déride son front, sans qu'elle ne parvienne à expliquer pourquoi. Un soupir tombe au bord de ses lèvres mais, elle ne s'est pas rendu compte qu'elle retenait sa respiration. Louis vient près d'elle, approche du balcon. Ils ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Un papillon vient se poser sur la balustrade en pierre. Ils regardent l'insecte, pas grand, de la taille d'un pouce, étendre ses couleurs et battre des ailes lentement, avec une faible pulsation. Au-dessus d'eux, la lune traverse le ciel : elle vogue sur les nuages comme vogue un bateau argenté sur un océan noir. La nuit est belle. La lune, comme une boule de gaz et de poussières, vaporeuse, lourde et tremblante, monte à l'horizon. Paris devient plus belle d'heure en heure. Thérèse bat des paupières et elle regarde ce beau paysage. Le spectacle est magnifique, mais solennel. Son chignon est piqué d'épingles dorées et, les rayons de la lune descendent : une pluie de paillettes d'or semble tomber sur ses cheveux noirs. Sa robe s'étale autour d'elle comme une mousse qui se dépose sur l'eau, avec délicatesse, dans un élan voluptueux. Soudain, elle sent le poids d'un regard sur son épaule et elle se tourne vers Louis. D'un geste hésitant, sa main vient toucher son visage. Il a ôté ses gants et, elle sent la fraicheur de ses doigts sur sa peau brulante. Elle a les joues rouges d'avoir dansé : la fièvre est montée jusqu'à son front, près de la racine de ses cheveux. Les yeux plissés, et qui miroitent une sombre lueur exaltée, il regarde Thérèse, comme pris par une réflexion profonde, comme nous regardons un mystère qui nous est surprenant et inconnu, comme nous regardons une énigme qui nous taquine et que nous cherchons à élucider. Ses doigts caressent la joue de Thérèse, ses lèvres murmurent sur leur bout :
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Au coeur de Paris
Fiction HistoriqueJuillet 1789. Thérèse est une jeune paysanne. Elle monte à Paris dès que la rumeur se lève : la Révolution est proche. Aventurière, assoiffée de liberté, Thérèse ne se voit reculer devant rien. La révolution est une chose dangereuse et ce nouveau mo...