Chapitre 4

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Mon cœur s'est retourné dans ma poitrine.

— Zoélie, viens là !

Je ne savais pas si cela changerait réellement quelque chose, mais je devais la maintenir éloignée de la brigade.

Mon amie a baissé la tête. Sa longue tresse pendouillait tristement.

— Je suis désolé, Iris, a-t-elle marmonné faiblement. Je ne peux pas.

J'ai secoué la tête, prise d'incompréhension. Les soldats avaient probablement vu Zoélie entrer dans la galerie et décidés de la suivre. Ou alors...

Elle s'est avancée de quelques pas. Son ombre se détachait dans l'encadrement de la porte. Etrangement, les gardes n'avaient pas l'air de craindre sa fuite.

— Aller, venez, s'est exclamé l'un d'eux d'une voix lasse. Ne compliquez pas les choses. Vous serez bien mieux là où on vous emmène.

J'ai reconnu la voix de Philibert, le soldat de la dernière fois.
Je n'ai pas fait attention à lui, gardant les yeux fixés sur Zoelie. Elle semblait sur le point d'éclater en sanglot.

— Je n'avais plus qu'une chance. Je suis désolée...

Sa voix s'est brisée.

J'ai essayé de parler, mais une grosse boule s'était formée dans ma gorge. Il n'y avait plus qu'elle et moi, ses yeux remplis de larmes dans les miens. Ma meilleure amie venait de me dénoncer. La fille la plus révolutionnaire que je connaisse venait de me condamner à une vie aux ordres de Cassius.

J'aurais voulu la détester, mais la vérité, c'était que je la comprenais. Zoélie me l'avait dit : elle n'avait plus le choix. Elle devait trouver un moyen de se racheter, ou Cassius lui en ferait payer les conséquences.

***

Il y a un mois, le président s'était déplacé à l'école du troisième étage pour faire une inspection. On lui avait rapporté que certains d'entre nous ne respectaient pas ses règles, alors il venait contrôler par lui-même.

Pour mettre les choses au clair, Subterra n'était à proprement dire sous dictature, mais presque. Cassius, notre président, dirigeait la cité d'une main de fer. Il choisissait le gouvernement en fonction de la compatibilité de leurs idéaux politiques. Les citoyens étaient libres de penser autrement, mais il valait mieux pour eux ne pas exprimer leur mécontentement trop fort.

Avant Cassius ? Je ne savais pas. Cassius présidait depuis ses 18 ans, plusieurs années avant ma naissance. À Subterra, personne n'avait le droit de parler du temps d'avant. Zoélie, Tristan et moi avions longtemps chercher à en apprendre plus sur le passé de la cité en questionnant les adultes, mais aucun d'entre eux n'a jamais accepté de nous répondre. On avait fini par arrêter, comprenant que cela ne servait à rien de mettre en danger nos vies et celles des citoyens pour quelques réponses.

M. Delcourt, le remplaçant de M. Robert, était inhabituellement stressé. Il nous avait prévenus de l'arrivée de Cassius en faisant les cent pas devant le tableau. Il fallait que nous nous tenions à carreaux, ou cela allait lui retomber dessus. Zoélie promettait d'être sage, il fallait croire qu'elle était douée pour mentir.

Toujours est-il que ce jour-là, Cassius s'était assis dans un coin de la salle, juste derrière le bureau de Zoélie. Cassius, du haut de sa quarantaine d'années, aurait pu être beau s'il n'avait pas toujours cet air fatigué collé au visage. Des mèches brun clair frisaient devant ses yeux marron noisette. Il portait un ensemble gris classique, mais paraissait très formel, comme à son habitude. Les regards curieux des élèves s'étaient tournés vers lui, à la fois craintifs et admiratifs. La présence de Cassius dans notre école était une autre façon pour lui d'affirmer son pouvoir. Ce jour-là, l'atmosphère était si tendue qu'on aurait pu la couper d'un coup de couteau.
Il avait commencé par un petit discours.

— Enfants du troisième étage, commençait Cassius d'un ton grave. Vous devez comprendre que l'ordre et la discipline sont essentiels à notre survie. Ce que vous appelez liberté est en réalité une illusion délicate.

Le gouvernement avait toujours favorisé les citoyens du quatrième étage, souvent aux dépens des autres parties de Subterra.

Zoélie, assise à son bureau, avait blêmi. Je me souvenais très bien de la manière dont elle avait serré les poings sous la table, comme si elle ne pouvait contenir toute son indignation et sa colère. Mais quoi qu'elle ressente, il était impensable de protester. Pas à ce moment-là, pas devant lui.

Pourtant, elle s'était levée d'un air furibond. Les regards se sont tournés vers elle tandis qu'elle montait sur sa chaise pour dominer l'espace. La liberté était un sujet à ne pas aborder avec elle.

L'air déterminé, Zoélie avait lancé l'hymne. L'hymne de la Surface.

Des forêts vertes et de grands prés,
Un univers aussi vaste que la mer.
J'aimerais briser mes chaînes et retourner,
Sur la terre où sont nés nos pères.

Timidement, d'autres élèves s'étaient joints à elle, et finalement, nous chantions tous haut et fort cet hymne interdit. Au troisième étage, tout le monde la connaissait. Les parents l'apprenaient à leurs enfants une fois qu'ils étaient assez grands pour ne pas la répéter, afin de perpétuer la tradition.

Une fois l'hymne terminé, le silence s'était fait dans la salle. M. Delcourt tremblait de tout son corps sous le regard lourd de colère de Cassius.

Le président s'était levé, calmement.

— Mademoiselle, avait-il articulé à l'intention de Zoélie, monsieur. Dans le couloir.

La jeune brune s'était levée, la tête haute, et avait suivi Cassius jusqu'au couloir sur lequel débouchait l'école. J'avais jeté un regard anxieux à Tristan. Il se rongeait les ongles, un tic qu'il avait parfois.

Cette fois-ci, notre amie était allée trop loin.

***

Je me suis tourné vers Luz. Elle se tenait étrangement silencieuse, les poings serrés. Elle fixait Zoélie d'un air blessé.

— Iris te faisait confiance.

— Iris fait souvent confiance trop aveuglément, a rétorqué amèrement Zoélie.

J'ai accusé le coup douloureusement. Luz a semblé bouillonner intérieurement. Elle s'est jetée sur mon amie en hurlant. Je n'ai rien fait pour l'aider ni pour la retenir. Zoélie s'est défendu et a roué de coup la petite rousse.

Luz l'a plaqué contre le sol. Par expérience, je savais qu'il ne fallait pas sous-estimer la force de la jeune fille. Elles ont continué à se débattre en hurlant.

Les gardes ont attrapé chacun une des deux adversaires. Elles ont essayé de se libérer en agitant les jambes, en vain. Leur lourde respiration flottait dans la galerie, comme le grondement d'un orage après l'averse. Zoélie saignait du nez et Luz se tenait douloureusement la main.

— Espèce de traitre ! a vociféré Luz d'une voix éraillée. Je te déteste, je te déteste !

Zoélie, l'air grave, a arrêté de se débattre. J'aurais voulu bouger, mais j'en étais incapable. J'avais l'impression que mon cœur, si lourd dans ma poitrine, allait se détacher à tout moment, comme tenu par une maigre ficelle. Je fixais le sol, tremblante. Qu'aurait fait Tristan s'il était là ?

— Bon, on y va, a lancé sèchement un garde.

Il a menotté les mains de Luz tandis que Philibert s'occupait de moi. Je me suis rendu compte que je ne savais absolument pas où ils comptaient nous emmener. Au gouvernement ? À l'école ? Où allions-nous apprendre à devenir les laquais de Cassius ?

— Tu sais où aller, a-t-il dit à Zoelie.

— Oui, a-t-elle bredouillé.

Je lui ai lancé un dernier regard pendant que le garde me forçait à avancer. Elle ne le soutint pas. J'ai avancé docilement, n'ayant pas la force de résister. On m'a traîné durant quelque temps, perdue dans de moroses pensées. J'ai vaguement conscience de la présence de Luz derrière moi. Elle ne se débattait pas non plus.
Au bout d'un moment, j'ai remarqué qu'on grimpait les escaliers du cinquième étage. L'étage interdit.

— Où va-t-on ?

— Tais-toi et avance, a grommelé Philibert.

𝐋𝐚 𝐒𝐮𝐫𝐟𝐚𝐜𝐞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant