13. L'appareil photo

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Il y a neuf ans

— Un phénix va passer dans quelques minutes environ, à Klervis. Avec de grandes ailes d'or.

— Un... gros nuage blanc. Et... Ah non, c'était juste une tache sur la boule de cristal.

Sur une petite table de salle à manger, un jeune homme d'une vingtaine d'années et une rousse du même âge étaient assis devant une sphère lactescente, supervisés par une très vieille femme. Tous deux penchés sur leurs boules de cristal respectives, ils finirent par se redresser et fixèrent leur enseignante.

— C'est tout ce que vous voyez ?

— Oui.

— Ouaip.

— Bien, maintenant chacun d'entre vous va investiguer sur la prévision de l'autre, trouver une preuve de sa vérité.

— Mais madame, Zade ne sait juste pas lire dans une boule de cristal, taquina le brun.

— Mais n'importe quoi, c'est ce que j'ai vu, répliqua la rousse les sourcils froncés.

— Et ben tu sais pas regarder. Hors de question que je passe la journée à chercher un signe d'un gros nuage blanc, reprit-il à l'intention de sa professeure. Le ciel est bleu en plus, pas un nuage. Tu t'es trompée, c'est tout.

Il se leva, prêt à partir, mais le bras de la vieille sorcière lui barra la route.

— Exercice obligatoire, Lay. Fait confiance à ta camarade.

Il haussa les sourcils, mais se résigna à obéir. Il partit dans le salon et y ouvrit une armoire, dans laquelle il chercha un peu, et sortit un vieil appareil photo du meuble, qu'il tendit à Zade.

— Tient, prend en photo le phénix quand tu le verras. C'est mon vieil appareil photo. J'en aurai pas trop besoin je pense, dit-il un sourire en coin.

Il laissa sa phrase en suspens et la rousse comprit bien ce qu'il voulait dire par là : il n'aurai pas de nuage à prendre en photo. Sûre de la prédiction qu'elle avait faite, elle sortit sans dire un mot, sur les traces d'un phénix, l'appareil autour du cou.

— Gnagnagna, j'en ai pas besoin moi, je suis monsieur je sais tout, se moqua le jeune femme sur le petit chemin à la sortie de la maisonnette. Tu parles, les phénix y en a tout le temps, je pourrais par pur hasard tomber dessus juste maintenant.

À la fin de sa phrase, elle s'engouffra dans une ruelle pour rentrer de plein fouet dans une jeune femme. La pauvre perdit l'équilibre et Zade la rattrapa de justesse par la taille et resta un moment immobile, pétrifiée devant la beauté qui émanait d'elle. Une grande blonde, le visage entouré de deux longues mèches d'or, aux yeux aussi verts que des feuilles dans leur âge le plus mûr, avait son visage à quelques centimètres du sien, répandant son souffle chaud sur sa peau. Une petite chemise légère au col de dentelles, aussi blanche que le teint de la femme à qui elle appartenait, frôlait le torse de la rousse, sous lequel son cœur battait à toute allure. Revenant à elle, Zade remit l'inconnue, qui elle aussi la fixait avec curiosité dans le plus grand silence, dans une position stable, les joues roses.

Le regard de l'inconnue se baladait sur Zade et finit par se poser sur l'appareil photo, qui était toujours au cou de l'apprentie sorcière. Sa langue se délia pour s'exclamer d'une voix mélodieuse :

— Est-ce que c'est un vrai appareil photo humain ? C'est incroyable, j'en n'avais jamais vu un pour de vrai ! Oh et je suis désolée de t'être rentrée dedans. Je m'appelle Kalystos, mais tu peux m'appeler Kaly.

— Moi c'est Zade, se présenta la rousse en lui faisant son plus beau sourire charmeur, que la blonde lui rendit, laissant apparaître deux canines pointues.

Le silence s'éleva de nouveau et les deux femmes se regardaient, gênées, avant que la rousse ne reprit :

— On pourrait prendre une photo ensemble, viens, je te montre comment ça marche.

Elle lui tendit la machine et lui expliqua comment l'actionner. La rousse se rapprocha de Kaly et la vampire tendit le bras et cliqua sur le déclencheur. Le Polaroid sortit par le bas de l'appareil et Zade s'en saisit. Elle secoua la photo et la tendit à la blonde.

— Tiens, je te la donne. La photo apparaîtra dans quelques instants. J'habite dans la petite maisonnette entre Klervis et Nouve, on pourrait se revoir, ajouta-t-elle en lui jetant un clin d'œil.

La vampire prit l'image en riant et acquiesça d'un signe de tête.

— Kaly j'ai trouvé par où faut passer ! cria une voix d'enfant plus loin dans la ruelle. Dépêche-toi il va bientôt pleuvoir !

En effet, un nuage était venu cacher le soleil, assombrissant les rues.

— Mon frère m'attend, dit-elle à la rousse, qui ne détachait pas ses yeux d'elle. Je viendrai te voir avec plaisir, Zade.

Elle lui sourit à nouveau avant de repartir, faisant danser dans le vent sa longue jupe noire.

Lorsqu'elle fut hors de sa vue, l'apprentie sorcière sentit quelques gouttes sur sa peau, il commençait à pleuvoir. Elle décida de rentrer avant que la pluie ne se fasse trop forte et fit le chemin du retour un sourire béa sur le visage.

— Alors ce phénix ? demanda Lay à son retour. Tu l'as pris en photo j'espère.

Zade écarquilla les yeux ; sa rencontre lui avait complètement fait oublier ce pour quoi elle était partie.

— Heu... Ben y en avait pas, et t'avais dit quelques minutes, j'allais pas rester des heures, surtout avec ce temps.

Le silence s'installa, le brun fronçait les sourcils. Ses lèvres s'ouvraient et se fermaient, comme si les mots ne voulaient pas franchir ses lèvres. Finalement, il finit par dire, les yeux fixés sur le mur à sa gauche :

— T'avais... raison. Pour ta prédiction. Désolé de pas t'avoir cru.

Une fois cela dit, il monta dans sa chambre, presque vexé.

— Tu le remercieras plus tard pour la belle rencontre que tu as faite, chuchota la vieille sorcière qui était apparue dans l'entrebâillement d'une porte. C'est un beau phénix que tu as vu aujourd'hui, un phénix aux cheveux d'or n'est-ce pas ?

Elle disparut ensuite dans la cuisine et la rousse s'allongea sur le canapé, rêvant de la belle blonde.

En Attendant l'Éclipse de LunesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant