14. Deux capes dans Nouve

51 10 49
                                    

Les deux disciples du monarque de Nebuli s'étaient levés à l'aube pour enfiler leur uniforme avant de partir en mission. Un haut ample marron, surmonté d'une armure qui couvrait le torse, par-dessus laquelle venait s'ajouter une cape kaki fixée par des épaulières en métal.

— On a vraiment trop la classe comme ça ! s'exclama Lunn en passant devant une glace dans le corridor qui menait à la sortie, avant de lancer un clin d'œil à son reflet.

Maka restait de marbre. Elle avait à peine fermé l'œil de la nuit, tourmentée par des cauchemars et appréhendant la sanction en cas d'échec de la mission. Ils se devaient de réussir.

— J'pensais qu'on pourrait passer par Nouve, dit-il gentiment une fois qu'ils furent dehors. C'est p'têtre un peu plus long, mais vu que... enfin comme tu veux.

La brune fut touchée par l'attention de son ami pour lui éviter son ancienne patrie.

— Va pour Nouve. L'humain d'il y a vingt ans y était arrivé en plus.

Les deux soldats marchaient dans les rues de Nebuli, dans lesquelles des paysans se courbaient sur leur passage.

— Ah ouais, le gamin ! Il a dix piges, il sera super facile à choper !

— Lunn, s'il avait dix ans y a vingt ans, c'est plus un enfant aujourd'hui, il est même plus vieux que nous, remarqua la jeune femme en levant les yeux au ciel.

Les sourcils froncés, Lunn assimila cette information, sans chercher à en comprendre la logique.

Les deux amis traversèrent Nebuli pour arriver aux portes, deux grands battants d'or que les gardes ouvrirent immédiatement en reconnaissant leur uniforme et leur badge accroché à leurs torses, sur lequel était représenté un sceptre noir. Une fois dans Nouve, les habitations de pierre laissèrent place à de plus luxueuses bâtisses et les habitants ne se courbaient plus sur leur passage.

— Ah, Nouve, la cité des intellectuels ! s'exclama Lunn en regardant autours de lui. Mate un peu leur air tout sérieux et les inscriptions sur les villas : architecte Dopinger Fred, docteur Erne Lay. Pff, même dans leurs noms on voit qu'ils se la pètent.

— Impossible qu'un humain se soit installé ici, analysa Maka. À en croire le monarque, la stupidité des humains les empêcherait de devenir érudit au point de s'adapter à la vie à Nouve. Cherchons plutôt à Klervis, voir à Sprez.

Passant près des frontières de la cité céleste, l'angoisse monta chez la jeune femme. Ils étaient au bord du territoire, qui se terminait par le vide, bien que protégé d'une petite barrière de bois. Le vide. La frontière. N'importe qui pourrait la franchir et dégringoler dans la stratosphère, prenant feu avant même d'atteindre la Terre.

— Qu'est-ce qui nous dit qu'ils ont pas sauté ? demanda-t-elle, la voix tremblante, les yeux perdus dans le vague, humides.

— Hein ?

— Les humains ! Et s'ils avaient tous disparu, s'ils avaient tenté de s'évader d'ici en plongeant dans les nuages et que...

Son cœur se serra, sa vue se troubla. Et si leur mission était vouée à l'échec ? Elle ne pouvait, ne voulait plus décevoir les gens autours d'elle.

— On n'aurait plus rien à proposer au monarque et... On va finir comme... comme...

Sa respiration était saccadée et Maka, pliée en deux, peinait à se reprendre. Les scénarios d'échec fusaient dans sa tête, ponctués de sacrifices dont elle était la victime.

— Eh, calme-toi ma belle, chuchota Lunn d'une voix douce en s'accroupissant pour être à sa hauteur. Les trois ont pas pu sauter, peut-être un, voir deux, mais on a de la chance avec celui d'hier ! Il est arrivé à Klervis ! Klervis, entouré d'autres nations. Pas de vide !

— Impossible qu'il ait traversé autant de terres sans se faire remarquer, se rassura Maka en relevant la tête.

— Exactement ! s'exclama Lunn en la redressant. T'inquiète, on est une équipe d'enfer, on va y arriver ! C'était sûrement une menace en l'air que nous a fait le monarque, il va pas vraiment nous bouffer même si on n'y arrive pas. Nos âmes sont pas assez bonnes de toute façon, il préfère les vieux et les bébés.

— Merci Lunn. 

Elle prit son compagnon dans ses bras, qui lui rendit son étreinte. Elle éprouvait une réelle sympathie pour Lunn, qui avait toujours été là pour elle depuis ses premiers jours au château. Son frère de cœur, bien que peu intelligent, savait toujours trouver les mots pour remonter le moral et égayer la journée de n'importe qui.

— Aller, on est bientôt aux portes, s'exclama-t-il en la relâchant.

— On se séparera après, planifia Maka. J'irai aux portes de Sprez et toi de Verkaj, il faut prendre la liste des personnes qui sont passées et ordonner aux gardes de fermer les portes tant qu'on n'aura pas retrouvé cet humain.

— Noté !

Devant les portes de Klervis, les deux battants s'ouvrirent immédiatement à la vue des badges. Maka s'attarda au près d'un garde, à qui elle ordonna :

— Fermez les portes à tout le monde et dressez une liste de tous ceux qui sont sortis de Klervis depuis hier, que vous enverrez au château. Ne laissez personne passer jusqu'à nouvel ordre, ni entrer, ni sortir, un humain est arrivé.

Le garde hocha la tête et referma les lourdes portes derrière les deux disciples, les verrouillant à l'aide d'une immense barre de fer.

— J'ai entendu des choses merveilleuses sur Klervis ! s'émerveilla Lunn en entrant. C'est l'une des nations avec le moins de loi, ils ont beaucoup de carrioles magiques et...

Ses yeux s'écarquillèrent alors qu'un enfant et sa mère passaient devant eux, les bras chargés de provisions.

— C'est un jour du marché Maka ! Ça arrive seulement deux jours consécutifs par mois ! On peut y aller ? S'il te plaît, s'il te plaît !

Les mains jointes et les cils battants, il suppliait son amie du regard. La jeune femme hésita, toujours déterminée à accomplir leur mission le plus efficacement possible. Néanmoins, elle céda. Peut-être qu'au passage, ça la détendrait un peu.

— Mais pas longtemps alors !

Quelques mèches de Lunn s'enflammèrent d'excitation, puis il prit son amie par la main pour la mener au plus vite à la place du marché, ce qui n'était pas une tâche facile, puisqu'ils n'en connaissaient pas l'emplacement exact. Ils se contentèrent donc d'aller à l'inverse des habitants armés de sacs de courses, et trouvèrent bientôt leur bonheur. Le premier stand qu'ils aperçurent fut une table colorée tenue par une vieille vendeuse à quatre bras.

— Oh regarde Maka, ils vendent des bonbons !

Lunn se précipita vers le stand, l'eau à la bouche. Maka, moins confiante, s'y avança également. Elle n'avait jamais vu de pareilles sucreries, très rares à Verkaj. Alors que son ami en commandait quelques-uns en sortant des pièces de la sacoche à sa ceinture, il proposa à Maka de lui en payer un. Indécise face à temps de noms de saveur qu'elle connaissait à peine, elle finit par se laisser tenter par une spirale orange.

Dégustant leurs sucreries sur le chemin du retour dans une rue peu empruntée, un détail saisit l'attention de l'élémentaire.

— Oh, c'est quoi ça par terre ? se demanda-t-il en se courbant pour le ramasser.

Il recueillit une carte jaunie, sûrement un peu piétinée, et l'observa.

— Lunn ne ramasse pas les choses qui sont par terre, ce papier est tout sale, le réprimanda Maka.

— C'est une carte au trésor ! s'exclama Lunn en voyant les deux croix rouges. Y a un chemin tracé entre ici et un endroit entre Nouve et Klervis, faut qu'on y aille !

— Lunn on a une mission à accomplir, on peut pas trainer au marché et suivre les indications d'une carte qu'on a trouvée par terre !

— J'y vais seul alors, va à Sprez toi si tu veux.

Et il partit d'un pas décidé, suivant les indications de la carte.

— Attend, je t'accompagne ! s'exclama la brune.

Elle avait eu un pressentiment, comme si se rendre à cette croix pourrait les aider dans cette mission. De toute façon, ils auraient la liste des gens qui auraient passé les portes, rien ne pressait.

En Attendant l'Éclipse de LunesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant