27. Saufs, pas sains

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À peine sortie d'Awan, Colombe vomit dans le coin d'une ruelle. Le fuligin, la mort imminente qui l'attendait, ses amis en danger par sa faute, tout tournait en boucle dans sa tête et ressurgissait en souvenir cauchemardesque. Lay lui tendit une gourde, à laquelle elle but avidement, dans l'espoir utopique que le liquide diaphane purifie sa mémoire de ce qu'elle avait vu. Au bord de la crise de panique, le souffle court, elle rendit le contenant vide à Lay, les larmes au bord des yeux.

— Hé, Colombe, l'interpella Zade, tout va bien maintenant. Regarde, on est tous sains et sauf, et réuni grâce à toi !

Les lèvres tremblantes, l'humaine se jeta dans les bras de la sorcière en fondant en larmes.

— Je veux rentrer chez moi... geignit-elle en pleurant de plus belle.

Zade regardait Colombe, les bras écartés, surprise de cette étreinte. Elle jeta un regard furtif à Kaly, qui lui incita d'un œil insistant à faire quelque chose. Rapidement, la rousse se reprit en main et rendit son étreinte à l'humaine, une main sur sa tête, l'autre sur ses omoplates.

— Tout va bien, murmura-t-elle alors que toutes les larmes de la jeune femme se déversaient sur le tissu écarlate de sa robe. On est là pour t'aider à rentrer chez toi.

Elle tourna à nouveau la tête vers Kaly en haussant les sourcils, et cette dernière lui répondit avec un pouce levé vers le haut et un hochement de tête encouragent.

Lay regardait la scène de loin aux côtés de Zéas d'un œil noir. Si Colombe n'avait pas été dans un si mauvais état, il aurait passé un savon aux jeunes femmes inconscientes. S'il n'avait pas été là, la situation aurait tourné au cauchemar et il les avait pourtant prévenues. Il baissa les yeux sur son bras, plus douloureux qu'auparavant. Son intervention lui avait couté plusieurs semaines de convalescence.

— Merci... d'être venu nous chercher, lança Zéas sans détacher ses yeux de la scène touchante qui se déroulait à quelques mètres d'eux.

Sa gratitude réchauffa légèrement le cœur de Lay.

— Pas de quoi... répondit le sorcier en le toisant. Et désolé pour le... coup hier. Je peux le guérir si tu veux.

— Ça ira, merci.

Lay laissa ses yeux flâner encore quelques secondes sur le jeune homme. Dans l'espace d'un instant, il crut revoir le petit garçon qu'il avait connu jadis. Les iris verts éclatants du félin observaient les femmes au loin avec tendresse, comme un enfant observe le monde d'un regard pur.

Une bouffée de nostalgie envahit le sorcier. Il se revit une dizaine d'années plus tôt rencontrer ses amis, Zéas qui n'avait que douze ans mais qui voulait faire comme les adultes du groupe, la naissance de l'amour entre Zade et Kaly, Lyrne... Le ciel lui semblait plus bleu dans ses souvenirs, sans le voile de tristesse qui recouvrait ses pupilles. Que restait-il de cette époque ? Lyrne et Kaly étaient mortes, l'enfance de Zéas détruite à jamais. Une larme silencieuse coula sur sa joue. Comment sa vie avait-elle pu basculer en quelques années ?

Il décrocha son regard de Zéas et tourna la tête vers les deux femmes qui réconfortaient Colombe. Sentant la goutte salée couler sur le bas de son visage, il s'empressa d'effacer son chemin grâce à la manche de sa chemise. Ces derniers jours, il avait l'impression d'avoir retrouvé l'atmosphère joyeuse de la décennie précédente. Son quotidien chargé par la routine et l'ennui s'était allégé en quelques jours et, bien qu'il n'ose pas se l'avouer, la tournure des évènements lui plaisait bien et il était heureux d'enfin pouvoir être à nouveau utile pour quelqu'un.

Lay fut sorti de ses pensées par Kaly et Zade qui s'approchaient de lui.

— Lay, commença la sorcière, on est désolées. Je sais que tu vas nous passer un savon, alors vas-y, mais tu reprocheras tout ça à Colombe plus tard...

Lay attira ses deux amies contre lui, coupant Zade dans son discours. Il les prit dans ses bras et leur murmura :

— Je suis content que vous alliez bien.

Dans le dos du brun, les fiancées se regardèrent, surprises. Elles finirent par le serrer elles aussi dans leurs bras, et prendre Zéas dans leur étreinte.

Ils se séparent quelques secondes plus tard et le brun regarda les deux femmes les yeux plissés. Les reproches se bousculaient au bout de ses lèvres, prêtes à sortir par milliers. Il inspira un bon coup et partit vers Colombe, tournant le dos aux deux femmes. Mais il revint sur ses pas, l'index pointé vers le haut, avec un petit air supérieur plaqué sur son visage symétrique :

— Mais Zade, je te l'ai déjà dit : si tu entraînes ta magie régulièrement...

— Rho... soupira cette dernière en levant les yeux au ciel. Je sais, je sais Lay, si j'avais plus travaillé, bla bla bla, j'aurais pu faire un super sauvetage héroïque juste comme toi, bla bla bla.

Lay fronçait les sourcils, puis, à la mention de son rôle dans le dénouement de la péripétie, sourit fièrement.

— T'as pas changé, dirent les deux sorciers en cœur.

Le silence s'installa, avant que Zade ne reprenne en tapant l'épaule de son ami :

— Bon, je travaillerai un peu plus ma magie.

Lay haussa les sourcils, peu convaincu.

— Tu le feras jamais, hein ?

— Nan, répondit-elle en souriant. Mais si ça peut te rassurer que je te le dise...

Le brun soupira, un sourire qu'il n'arrivait pas à masquer sur les lèvres. Il finit par se détourner pour rejoindre Colombe, qui semblait perdue dans ses pensées, appuyée sur un mur.

Son visage avait changé. Ses deux yeux plus tôt pétillants de naïveté étaient désormais vides, penseurs, fixés sur un point imaginaire dans le paysage aussi délabré que sa joie de vivre. La bouche entrouverte, les bras croisés étroitement autour de sa taille, elle attendait, seule avec ses souvenirs.

— Colombe ?

La jeune femme se tourna vers Lay et essuya ses joues encore humides.

— Je te laisse tranquillement dire au revoir aux autres, on va partir pour Nouve. On fera un crochet pour chercher Aelia et on rentrera à la maison.

Le sorcier marqua une pause et fixa Colombe. La communication n'était pas son fort, il le savait. Avait-il été trop brusque ? Avait-elle encore besoin de temps ? Mais la jeune femme acquiesça et rejoint le groupe pour les saluer.

L'humaine prit Kaly et Zade dans ses bras et elles lui promirent d'être là pour son départ. Quand vint le tour de Zéas, elle resta plantée devant lui, ne sachant pas quoi dire.

— Au revoir, bel oiseau, dit Zéas en faisant la révérence. Merci de m'avoir sorti de ma cage et... désolé d'avoir... enfin, je te prie de m'excuser pour... tout, même si tu n'étais pas vraiment la cible première de mes actions.

Sans attendre de réponse, il se retourna et commença à se diriger vers la boutique à Klervis, bientôt suivi par les deux fiancées.

— On va y aller aussi, lança Lay en s'éloignant à son tour.

Colombe le suivit et l'observa à nouveau, comme elle l'avait fait avant d'arriver à Awan. L'idée de passer ce dernier jour avec Lay lui déplaisait moins qu'avant. Après les évènements qu'elle venait de vivre, le calme ne pouvait être que bienvenu.

En Attendant l'Éclipse de LunesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant