D'ici, tout semblait calme.
Le grondement de la bataille ne leur parvenait pas. Ils ne percevaient que des flashs lumineux erratiques, loin à l'horizon. L'Alliance avait commencé le bombardement. Le bombardement de leurs camarades.
À l'abri dans les ruines d'un village, les quelques dizaines d'hommes et de femmes, séparés du conflit par un no man's land balayé par le vent – un vent sec qui portait l'odeur nauséabonde des morts –, profitaient de leurs derniers moments de répit. Amers et anxieux, ils ne pouvaient qu'imaginer les pertes, là-bas, de l'autre côté de la plaine.
Quatre ans déjà que l'Alliance avait annexé de force le tiers des planètes encore indépendantes. Quatre ans qu'elle avait instauré son propre régime, sans se soucier de l'impact qu'il aurait sur les populations autochtones. Quatre ans que les corporations industrielles, telles que la Lux, avaient pris le contrôle de ladite Alliance. Quatre ans aussi que la lutte faisait rage.
Et pour quel résultat ? Qu'avait donné cette guerre au final, si ce n'est des morts par dizaines de milliers ? Tant de sacrifices uniquement pour satisfaire la soif de pouvoir d'un seul homme : Vlad Stokes, le patron de la Corporation Lux.
— Un beau salaud, ce Vlad ! ruminait Tiana Fry, tout en nettoyant son blaster avec une minutie presque obsessionnelle.
Elle recompta le nombre de cartouches thermiques qu'il restait dans son chargeur avant de s'emparer de sa carabine pour lui faire subir le même entretien frénétique.
Ses longs cheveux bouclés, d'un brun rendu sale par la poussière acheminée par le vent, tombaient sur ses épaules ; sa peau mate contrastait avec le métal clair de son arme fermement tenue ; son regard aussi sombre que hargneux se reflétait dans l'acier du canon.
Le Sergent des forces indépendantistes ne s'était pas engagée par patriotisme ou par esprit de justice. Elle avait pris les armes par vengeance. Pour la mort de sa femme et de sa fille, assassinées lors d'une perquisition musclée de l'Alliance.
Derrière elle, les membres de la Compagnie dont elle avait hérité le commandement, se préparaient eux aussi à défendre leur position. La plupart étaient de jeunes soldats triés sur le volet qui, pour beaucoup et comme Tiana, n'avaient aucune formation militaire, ne cherchaient qu'à défendre leur maison, leur famille ou dans certains cas, simplement à se venger des trop nombreux torts que l'Alliance avait pu leur faire.
Ayant terminé la maintenance de ses outils de guerre, Fry scruta ses compagnons et subordonnés. Elle ne lisait que de la terreur – plus ou moins bien dissimulée – sur leurs visages tendus. Tous redoutaient d'y laisser la vie, c'était une évidence.
Elle les comprenait. Le grondement sourd du combat approchait depuis de longues minutes. La lumière des explosions était maintenant assez proche pour devenir aveuglante.
Surgissant au détour des restes d'un mur de pierre, un homme crasseux dérapa presque pour s'arrêter, hors d'haleine, devant le Sergent. Cette dernière l'avait mis en joue par réflexe – plusieurs soldats avaient également dégainé. Ce n'est que parce qu'ils avaient identifié l'uniforme brun, qui leur était commun, qu'ils n'avaient pas tiré. Tiana abaissa son arme.
— Tooms ! l'appela-t-elle. Alors, quelles sont les nouvelles ?
Le soldat haletant releva la tête en silence, révélant un regard aussi morne que son expression était grave. Pour sa supérieure, c'était une réponse amplement suffisante.
— À quel point c'est la merde ?
— Au point de nous enterrer. Parce que c'est exactement ça, lui répondit le soldat en oubliant le sarcasme pour lequel il était réputé. On est tout seuls sur ce coup-là. Les "huiles" ont capitulé.
— Quoi ? lâcha Tiana d'une voix blanche.
La nouvelle se propagea dans les rangs comme un feu de brousse. Les hautes instances avaient capitulé ? Cela voulait dire qu'ils n'étaient plus obligés de combattre, mais aussi qu'il n'y avait plus personne pour leur offrir du soutien. Et les bombardiers de l'Alliance approchaient dangereusement. Les regards inquiets pivotèrent vers le Sergent.
— Quoi ?! répéta-t-elle, la voix vibrante d'une rage à peine contenue. Tu te fous de moi ? On aurait fait tout ça... pour rien ?! Je me suis pas engagée dans cette guerre pour que ça finisse comme ça ! Je peux pas-...
Sa colère était telle qu'elle en avait oublié de respirer. Pour tenter de retrouver son souffle, elle pressa la main contre sa poitrine alors que son corps entier tremblait sous l'effet de la fureur. Son poing se crispa sur son uniforme. Pour un peu, elle l'aurait déchiré.
Toom essaya d'approcher ; il fut arrêté dans son élan par un geste sec de sa supérieure. Même sans ça, le regard mauvais qu'elle lui jetait l'aurait empêché de faire un pas de plus. Il était évident qu'elle mènerait ce combat jusqu'à son terme. Seule s'il le fallait. L'éclaireur, encore un brin essoufflé, tenta de la raisonner.
— Écoute, Sergent, je sais ce qui te motive mais on peut plus rien faire, maintenant.
Un vrombissement croissant de moteurs annonçait l'arrivée imminente des bombardiers ennemis. Il ne restait que très peu de temps avant que la région entière ne ressemblât à un véritable enfer.
— Quand on se sera sorti de là, reprit Tooms en désignant le paysage déjà ravagé par la guerre d'un geste large, on avisera et on trouvera un moyen de les faire payer. Mais si on reste là, on va juste se faire pilonner... On gagnera rien à se faire flinguer. Alors sonne la retraite. On peut plus rien faire ici.
Une larme roula sur la joue de Fry. Une larme de colère, de douleur, de dépit. Pas une once de chagrin. La jeune femme n'était que rage. Envers l'Alliance qui lui avait pris sa famille, évidemment, mais aussi contre ces lâches de généraux qui avaient osé les laisser seuls pour mourir.
— Je vengerai ma famille. Quoi qu'il m'en coûte. Et tu m'en empêcheras pas.
Sans laisser le temps à son interlocuteur de répliquer, elle commença à brailler ses ordres par-dessus le bourdonnement approchant. Ils allaient trouver une position plus à couvert, charger leurs quelques canons anti-aérien, verser le plus de sang ennemi possible en luttant jusqu'au dernier. N'étaient-ils pas venus pour ça ?
Ses subordonnés à la formation imparfaite, rendus fébriles par la situation incertaine, hésitaient à obtempérer. Elle n'eut que le temps d'inspirer pour répéter. Elle s'effondra, inconsciente, Tooms derrière elle. Son blaster à la main, il murmura, la voix brisée.
— Désolé, Sergent. Je peux pas te laisser nous amener à l'abattoir... et encore moins te laisser te faire tuer.
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CHARON - Mission "Terra" (TOME 1)
Science FictionAu sortir d'une Guerre de quatre longues années, entre l'Alliance et les Indépendantistes, de nombreuses vies ont été brisées. Notamment celle de la sergente Tiana Fry, devenue Capitaine du transporteur spatial "Charon" et criminelle notoire. Alors...