Moi aussi, j'ai souffert. J'ai souffert sans doute plus que toi. J'ai souffert toutes ces nuits, toutes ces nuits à dormir. Enfin, à dormir... à fixer le plafond. À faire des cauchemars, les rares fois où je parvenais à m'endormir avant l'aube. J'ai passé mes nuits à souffrir, à me demander quand est-ce que tu reviendras, si seulement tu étais encore vivante. À se demander, au final, si la vie ce n'est pas juste un foutage de gueule monumentale. J'ai attendu, j'ai patienté, j'ai bougé les pièces de l'échiquier toute seule, en essayant de ne prendre parti ni pour les blancs ni pour les noirs. J'ai vraiment espéré longtemps, très longtemps.
Dire que ce n'était qu'une aventure d'un soir. Une aventure où j'ai découvert l'amour. Cette histoire va être niaise. Je tenais à vous prévenir.
Je me sais bisexuelle depuis le collège. Quand j'aimais alors une fille discrète. De ma classe. Je l'ai longtemps regardé de loin. Personne ne m'avait jamais dit que l'amour homosexuel n'était pas un crime. De toute façon, dans les cités, personne n'est gay. En 4e, j'ai osé. Je suis allée la voir, après les cours, et je lui ai dit. On est restées amies très proches, mais sans rien de plus.
Les rumeurs vont vite. Elles s'enflamment. Elles font mal. Elles peuvent tuer. Mon petit ange discret a cédé. Il est reparti de là d'où il venait. Depuis ce jour, je n'ai plus jamais tenté. Les garçons me faisaient de l'œil, j'y répondais, mais j'ai toujours gardé dans un coin de ma tête cette jolie jeune fille. Retrouvée dans sa baignoire. Dans un bain rouge sang.
Je visite sa tombe chaque jour. Sa famille non. Une lesbienne, vous y pensez ? Vous y croyez ? Monstre.
Le temps a passé. J'ai intégré l'université de ma ville. Le week-end, je vais au bar. Il y en a un gay à quelques rues de mon petit appart. J'apprécie son nom : "Ciel & Papillon". J'y vais souvent, seule, et reviens, seule. Sauf ce soir-là.
Et puis là, après toutes ces années, Mademoiselle se permet de revenir comme ça, comme s'il ne s'était jamais rien passé, comme si au final, tu n'étais que juste parti chercher du lait. Comme si tu avais fait le tour de l'univers avant de finalement trouver ce fameux lait. T'sais, si ça prend tellement de temps de trouver du lait, j'ai envie de te dire d'arrêter. Excuse légèrement pourrie.
Une jeune femme, belle comme un bourgeon de rose. Qui est venu. Comme ça. On s'est draguées. Je lui ai offert un verre. Et je n'ai pas fait le retour seule. On a longtemps discuté. Elle ne faisait pas d'études. Artiste, poète, elle vivait sa vie comme elle le voulait. Elle, elle n'a jamais eu peur d'avouer son amour pour les filles. Elle s'appelait Aisha. On s'est aimées, ce soir-là. Puis, on s'est revues. Et revues. Et revues. Au bout de quelques semaines, j'ai osé. Petit ange, je te garde dans un coin de ma tête. Mais, laisse-moi aimer à nouveau. Elle s'est tue. Longtemps. J'ai douté. Puis, elle s'est mise à rire. Un doux rire, comme autant de clochettes. Et m'a avoué attendre cela depuis longtemps. Ce soir-là, j'ai trouvé un bourgeon de rose qui ne demandait qu'à éclore.
Et aujourd'hui, t'es là, juste ici, devant moi, tu souries en me regardant droit dans les yeux, tu te demandes pourquoi je ne sourie pas, pourquoi je pleure en fait. Et je pleure parce que je me souviens. Si t'étais pas revenue, j'aurais pu continué à faire semblant d'être heureuse, à faire croire aux autres que j'étais parvenue à refaire ma vie sans toi.
On a passé des mois à se voir. On ne voulait pas étouffer notre amour trop jeune, et on a donc choisi de ne pas emménager chez l'autre. Une aventure sans fin.
Je voulais qu'elle reste auprès de moi jusqu'à la fin des temps. Qu'on vieillisse ensemble. Et que la mort ne prenne pas trop de temps pour cueillir l'autre.
Puis, elle est partie. Comme ça. Je n'avais plus de nouvelles. J'ai tenté les appels, je suis venu jusqu'à chez elle, j'ai toqué, j'ai hurlé. J'ai pleuré. J'ai abandonné.
J'ai refais ma vie. Mes notes en chute libre. Mon cœur aussi. Je me noyais.
Enfin, c'est ce que je raconte aux autres. C'est ce que je me raconte à moi-même. Parce que, même si je m'escrime chaque jour à être impartiale, les noirs finissent toujours par gagner. Et les blancs, blancs comme tes cheveux, blancs comme le costume que tu portais ce matin-là, les blancs ils... ils perdaient à chaque fois, de façon inéluctable. Écrasés, lamentablement. Un échec-et-mat glorieux, ou, de ton point de vue, minable.
Je portais deux deuils. Celui de mon petit ange, et celui de ma jeune rose.
Tu étais là, une rose à la main, un sourire éclatant aux lèvres. Et je n'ai fait aucun pas, n'ai pas sourie, parce que je t'en voulais d'avoir disparu, comme ça, d'avoir fugué, d'avoir fui de ma vie, de notre vie. Sous le fragile prétexte que... tu ne voulais pas recevoir d'insultes.
Mais, moi, j'existe. Les insultes, ce ne sont que des mots. J'aurai pu te soutenir, on aurait pu se soutenir mutuellement. Comme un... couple.
Je ne voulais plus aimer. Si aimer, c'est souffrir. Si aimer, c'est fuir. Si aimer, c'est mentir. Je préfère rester seule. Toute seule. Dans mon appart trop petit. Trop vide. Dans mon monde silencieux. Sans rires. Avec mes pensées douloureuses. «Bah oui, Nathanaëlle. Tu croyais quoi ? Que t'étais spéciale ? Tu attires le malheur, Nathanaëlle. Tu es un monstre, Nathanaëlle. Tu fais fuir les autres. Tu as tué Mina. Pauvre petit ange dont tu as arraché les ailes».
Et je n'ai fait aucun mouvement. Voyant mon immobilité, t'as choisi de traverser la route. Tu ne regardais que moi, le conducteur devait probablement admirer sa compagne. J'ai pleuré et crié pendant des nuits, ne souhaitant que ton retour. Un dieu quelconque, sans doute agacé de mes supplications, t'as fait réapparaître là, juste là, séparées de quelques mètres.
Choc.
Magnifique révérence à la fin de ton spectacle. Le blanc et le rouge, ensemble, accordés, c'est vraiment splendide.
Petite rose écrasée. Petit ange noyé. Pourquoi suis-je toujours là ?
Souvenirs douloureux.
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Une rose à la main
Cerita PendekHistoire d'amour entre deux jeunes femmes. Je tiens à dire que ceci est une fiction. Je ne me suis pas inspiré de faits réels. Tout cliché est volontairement et soigneusement choisi. Je ne veux vexer personne. Aussi, soyez polis. Il faut bien un con...