La Seconde Option: Les Ombres de l'Empire

Chapitre premier: L'Os

« Le monde n'est qu'une succession d'objets virtuels transposés de manière à se tromper lui-même sur sa propre nature »

  Le Soleil daigna enfin se lever sur cette terre vide et divisée. Dans un monde tranché par d'immenses édifices érigés par Dame Nature elle-même que l'on désignera plus tard sous le concept de montagnes. Les vastes Al-Pahra, grandioses, sauvages, divines, et insensibles au temps s'élevaient et se révélaient enfin au monde, baignant dans un nouvel océan de lumière que les gens retiendront plus tard sous le nom de « Mercredi 16 mars 1912 ».

Des terres encore inconnues de l'humanité, à l'aube d'un nouvel éveil. Les hommes foulaient de nouveau cette terre rocailleuse qui les avaient mis au monde des milliers d'années plus tôt, si l'on en croit les dernières découvertes scientifiques cherchant à fouiller dans les abysses profondes des origines de l'Humanité. Pierre Roclert, âgé de 68 ans, avait dédié sa vie à la vérité, guidé par une passion féroce qui naquit des décennies plus tôt, il y a 69 ans d'après lui. Personne ne pouvait expliquer son engouement pour l'archéologie, mais nombreux furent ceux à le suivre pour essayer de répondre à cette question.

Sa popularité s'était accrue 24 ans plus tôt, lorsqu'il publia son livre recelant de preuves concernant notre lieu de naissance. Il l'intitula « Aux Origines de l'Homme ». Ce livre eut un succès fou, et fit sa fierté. Alors comprenez bien sa désillusion lorsqu'il apprit qu'un néophyte du nom d'Éric Ranxhord avait réussi à convaincre la communauté scientifique de son erreur, en déménageant ce lieu d'un total de 3704 km vers le Nord, soit au beau milieu d'un désert sec et aride, du nom de Désert de Telurrht, nommé en référence au conquérant Burce qui s'empara de cette Terre inutile en 1456.

Assez d'histoires. Roclert était déterminé à prouver qu'il avait raison à ceux qui avaient décrédibilisé l'œuvre de sa vie. Il monta une expédition énorme, avec une équipe de pas moins de 67 scientifiques, et 200 ouvriers, pour retourner toutes ces montagnes inaccessibles. On eût dit qu'il était prêt à les renverser, mais ça ne pouvait être que métaphorique, notamment car il mourut trois mois plus tôt du Typhus dans d'affreuses souffrances.

Inévitablement, cela laissa un vide dans l'expédition, et nombreux furent les scientifiques à abandonner son projet fou, et bien trop coûteux...

Marine Beauregard était pourtant convaincue de la véracité des propos de Roclert. Il s'agissait même d'une de ses plus grandes adeptes. Mais pourtant ce matin-là, des larmes perlaient sur ses joues.

Peut-être valait-il mieux laisser ce monde de pierre en paix ? Peut-être fallait-il abandonner cette expédition ? Après tout, cela faisait deux ans qu'ils n'avaient rien trouvé de concluant... si l'expédition avait tenu jusque-là, c'était surtout grâce au charisme peu commun de cet homme, ou peut-être à sa folie enfantine que trop de gens en ce monde avaient perdu...

Trop de questions fourmillaient en elle. Il était déjà assez difficile de trouver une réponse aux grandes questions de l'univers. Ces nouvelles questions, Marine leur trouvait un côté rhétorique particulier: il était évident qu'elles ne pouvaient amener aucune réponse mathématiquement correcte. Ainsi, ce n'était pas à elle de se les poser et encore moins d'y répondre. C'était même une perte de temps considérable. Elle avait déjà assez de choses à faire comme retourner 45 millions d'hectares d'un relief caillouteux quasiment inaccessible, une quête semblant vaine mais pleine de sens à ses yeux. C'était avec ce genre de raisonnement alambiqué qu'elle essayait de se rassurer chaque matin, avant de continuer ses recherches.

Même avant la mort de Roclert, elle perdait déjà espoir, mais se rattachait surtout à la fidélité qu'elle exprimait envers ce dernier. Fidélité qu'elle avait peur de confondre avec Sens du devoir. Après tout, il était l'homme qui avait inscrit une ligne directrice à sa vie dénuée de sens.