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31 AOUT 2013

Une odeur de tabac à la vanille flottait dans la pièce.

Gabrielle regarda autour d'elle. Dans un coin de la chambre, une vieille guitare dont les cordes avaient sauté avait discrètement intégré le mobilier. L'armoire vomissait des vêtements enchevêtrés et visiblement froissés et le sol était jonché de partitions griffonnées et de livres cornés, parmi lesquels Théorie de la musique, écrit par un certain « A. DANHAUSER », et qui ressortait tout particulièrement grâce à sa couverture rouge. Les rayons du soleil filtraient à travers les volets entrouverts et réchauffaient délicatement le visage endormi d'Ugo.

Ugo ne correspondait pas franchement à l'image que l'on pouvait se faire d'un « beau gosse », mais il était charismatique. En tout cas, c'était ce que Gabrielle pensait, alors qu'elle l'observait silencieusement. De longs cils noirs bordaient ses paupières immobiles, surplombées d'une paire de sourcils un brin désordonnés. Ses longs cheveux bruns s'emmêlaient à l'intérieur de son cou, tandis qu'un souffle calme sortait à intervalles réguliers de sa bouche épaisse. Son visage large semblait toujours rieur, même lorsqu'il dormait. Pourtant, Gabrielle connaissait la vérité derrière cette apparente tranquillité.
Elle connaissait Ugo depuis bientôt huit ans. De deux ans son aîné, il avait emménagé avec ses parents à l'âge de dix ans dans l'appartement 406, situé deux étages plus bas que celui de Gabrielle, et était rapidement devenu son partenaire de jeu et confident privilégié. C'était un enfant intrépide et turbulent – un « vrai risque-tout », comme aimait l'appeler David en rigolant –, régulièrement couvert de bleus et d'égratignures. Cela ne plaisait guère à Louisa, qui les surveillait discrètement depuis le balcon dès qu'ils descendaient jouer dans le parc.

Son père s'appelait Edouard ; c'était un homme grand, aimable et très cultivé, à la mâchoire ciselée et au charme indéniable. Sa mère, Susan, était une personne tout aussi charmante, quoiqu'un peu trop sensible, d'après Louisa, qui l'avait un jour invitée à boire le café, « si bon » que Susan avait fondu en larmes.

Au début, Ugo ne venait chez Gabrielle qu'une fois par semaine, le samedi après-midi. Puis, au fil des mois, il avait commencé à lui rendre visite de manière nettement plus rapprochée. Cela avait intrigué Louisa, qui se demandait si ce dernier n'en pinçait pas un peu pour sa fille. Elle avait souvent tenté de soutirer des informations à Gabrielle, sans succès.
Puis, un jour de juillet, l'appartement 406 s'était vidé et l'adorable petite famille avait été remplacée par un énième couple de retraités.

Gabrielle était restée sans nouvelles d'Ugo pendant plus de six mois. Elle avait été si affectée par cet abandon soudain qu'elle avait perdu cinq kilos. Elle passait la majeure partie de son temps roulée dans sa couverture, mutique, les yeux baignés de tristesse et d'une sorte de culpabilité que sa mère ne parvenait à expliquer. Réussir à l'emmener à l'école relevait de l'exploit. Désespérée, Louisa avait repris rendez-vous chez le Dr. Martin, qui avait fini par diagnostiquer à sa fille de dix ans un épisode dépressif. Au bout de six mois, Gabrielle avait progressivement commencé à aller mieux, et Louisa et David évitaient à tout prix de faire allusion à Ugo ou à ses parents dans leurs discussions.
Puis, un beau jour, on avait sonné à la porte. C'était Ugo.

« - Ugo ? avait murmuré Louisa, interdite. Que...

- J'suis désolé, m'dame Lamy, avait-il dit en parlant très vite, j'ai même pas le droit d'êt' là, ma mère a dit qu'il valait mieux pas que j'vienne, mais j'pouvais plus rester sans rien dire, elle me manque, Gabrielle - et vous aussi, vous me manquez, avait-il ajouté, en la voyant froncer les sourcils.

- Pourquoi il vaut mieux pas que tu viennes ? Je comprends pas, là, c'est quoi cette histoire ? avait lancé Louisa d'un ton ferme.

Son regard déterminé s'était posé sur les mains du garçon. Il s'arrachait nerveusement la peau du pouce gauche et commençait à saigner.

AngelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant