Les rayons du soleil filtrèrent doucement à travers les persiennes et vinrent s'abattre directement sur l'œil encore fermé d'Andrew.
Il se réveilla, contraint et forcé, et fixa le plafond d'un air vide. Il serait bien resté au lit toute la journée, mais la fatigue l'avait malheureusement abandonné.
Quelle heure est-il ?
Quel jour sommes-nous ?
Il avait perdu toute notion du temps, mais s'en moquait royalement.
La seule chose dont il se rappelait, c'était que l'amour de sa vie n'était plus.
Il se leva, plus par habitude que par envie, ne prit même pas la peine d'ouvrir ses persiennes, se dirigea instinctivement vers la salle de bain, et alluma les lumières.
Toute sa maison était plongée dans le noir, cela faisait bien longtemps qu'il n'ouvrait plus les fenêtres ni les volets. Son frère le faisait de temps en temps, quand il passait le voir. D'ailleurs, il n'était pas censé venir aujourd'hui ?
Probablement que si...
Quel jour on est, déjà ?
Aucune importance...
En arrivant dans la salle de bain, il croisa son reflet dans le miroir. Ses yeux étaient vides, son regard éteint, son teint avait pris une nuance grisâtre, et une barbe de trois jours lui recouvrait les joues et le menton. Andrew s'inspecta un instant dans la glace.
Ça ira encore pour cette fois, pas besoin de se raser, pensa-t-il.
Pareil pour les cheveux, nulle raison de les couper pour l'instant. Juste les laver.
À quoi bon, de toute façon ?
Andrew ne sortait plus de chez lui, depuis la mort d'Ellie.
Et pourtant, il avait essayé. Il avait essayé de reprendre le cours de sa vie, de retourner travailler, de faire comme si de rien était. De recommencer à vivre, comme si rien ne s'était passé. Mais c'était au-dessus de ses forces.
Il ne pouvait plus rire, il ne pouvait même plus sourire. Rien ne lui donnait envie de le faire, tout lui semblait fade. Tout ce qui lui rappelait Ellie lui déchirait le cœur et lui arrachait des larmes de douleur.
Un jour, peu après le décès, son patron lui avait dit : « Écoute Andrew, je sais que ta femme est morte, et c'est une épreuve terrible, j'en conviens... Mais là ça fait quatre mois, il faudrait que tu passes à autre chose. La phase de deuil est finie, il faut que tu refasses ta vie, maintenant. C'est ce qu'Ellie aurait voulu. »
Andrew l'avait insulté.
Comment ce connard pouvait-il connaître l'effet que ça faisait de perdre son seul et unique amour ? Comment pouvait-il affirmer que quatre mois était une période de deuil suffisante, et qu'on pouvait tout oublier par la suite ?
Ce genre de décès, on ne s'en remet jamais. On apprend à vivre avec, c'est tout. On s'y accommode, plutôt, on n'a pas le choix. Et parfois, c'est tellement dur... Parfois, on ne peut tout simplement pas vivre avec.
Comment pouvait il parler au nom d'Ellie en prétextant savoir ce que elle aurait voulu ? Il ne la connaissait même pas...
Alors, Andrew s'était fait virer.
Peu importe, de toute manière, ce boulot ne lui plaisait pas. Rien ne lui plaisait plus.
Il n'avait pas retrouvé de travail, depuis. À vrai dire, il n'avait même pas cherché.
Il se déshabilla, entra dans la douche, fit couler l'eau chaude, très chaude, voire brulante, sur son corps, s'assit, et resta ainsi pendant de longues minutes.
Il repensa aux moments qu'il partageait avec Ellie. Celui-ci en faisait partie. Prendre leur douche ensemble, avant d'aller travailler, et refaire le monde en étant assis sous l'eau qui ne cessait de s'écouler. Ellie disait que cette position favorisait l'imagination, que l'eau qui coulait sur leur corps représentait leurs soucis qui leur glissaient simplement dessus. Il fallait fermer les yeux, et les laisser s'en aller. Ellie était une artiste dans l'âme, et elle avait ce brin de folie typique aux créatifs qui faisait fondre Andrew.
Ô Ellie, si tu savais comme tu me manques. Ton sourire, ton visage, le son de ton rire... J'aimerais tellement que tu sois à mes côtés, en ce moment. J'aimerais pouvoir te toucher, sentir la douceur de ta peau glisser encore sous mes doigts, explorer les effluves qui se dégagent de tes cheveux en plongeant ma tête dedans, deviner ce qu'il se trame dans tes pensées rien qu'en te regardant dans les yeux...
Le jeune homme bascula sa tête en arrière. Ses larmes se mélangèrent aux gouttes de la douche et coulèrent le long de ses joues.
Puis il entendit, au loin, la porte d'entrée s'ouvrir.
C'était sûrement son frère, Jude. Il venait voir Andy une fois par semaine. Le mardi, n'est-ce pas ? Avant, il venait tous les jours, mais maintenant...
Il s'est lassé, sûrement. Comme tous les autres, comme tous ceux qui venaient au départ. Tous ceux qui avaient promis à Andrew qu'ils seraient là pour lui quoi qu'il arrive. Tous ceux qui lui avaient dit qu'il pouvait compter sur eux en cas de besoin. Où étaient-ils, maintenant ?
Ils avaient tous fui.
Andy coupa l'eau et sortit de la douche. Il sécha rapidement son corps avec la première serviette qui se trouvait là, puis enfila un vieux jogging troué et ses vieux patins crasseux, avant d'aller rejoindre son frère qui se trouvait sans doute dans le salon ou dans la cuisine.
Lui portait un costard cravate gris, ses chaussures étaient cirées, et il était impeccablement coiffé et rasé. Jude était toujours bien apprêté à vrai dire, élégant jusque dans sa façon de se mouvoir. À côté de lui, Andrew fait pâle figure. À côté de tout le monde, en fait, depuis qu'il avait perdu sa superbe.
Jude s'était déjà attelé à ouvrir tous les volets du salon et de la cuisine. Il ne prit même pas la peine de demander à Andrew comment il allait, il savait d'avance que cette question était stupide et qu'elle ne méritait pas de réponse.
Je vais, c'est tout. Je suis en vie, mais j'ai l'impression d'être mort à l'intérieur. J'aurais voulu partir avec elle, j'aurais dû partir avec elle.
Combien de fois pourtant, il avait tenté de mettre fin à ses jours afin de rejoindre son aimée ? Il avait pratiquement tout essayé, mais à chaque fois, cette chienne de vie s'était accrochée à lui avec tout l'acharnement dont elle était capable.
Jude l'avait découvert plusieurs fois pendant ses tentatives de suicide, et en avait empêchées beaucoup. Depuis, il se méfiait, mais Andrew avait envie de lui dire de lui foutre la paix. Ç'aurait dû être son choix de mourir en même temps que sa femme. C'est ce qu'ils voulaient, au début. Ils s'étaient jurés qu'ils finiraient leurs vies ensemble, très vieux, et qu'ils seraient enterrés l'un à côté de l'autre, dans le même tombeau, dans un petit cimetière de la côte bretonne. Ellie adorait la France, et plus particulièrement la Bretagne, avec tout cet aspect mystique et magique qui la fascinait. Mais rien de tout ce qu'ils avaient prévu n'était arrivé.
Jude se dirigea vers la chambre de son frère et tenta d'en ouvrir la porte avant que ce dernier ne lui bloque l'accès.
- Non., fit-il simplement.
- Andy... Je suis sûr que tes volets son clos et que ça pue le renfermé, là-dedans. Je le sens d'ici.
- Je m'en fiche, personne n'entre ici.
Personne n'avait le droit de pénétrer dans la chambre d'Andrew. Personne, excepté lui-même.
Cette pièce, c'était le berceau de toute sa relation avec Ellie.
C'était dans cette pièce qu'il l'avait demandé en mariage, qu'ils avaient fait l'amour pour la première fois, qu'ils s'étaient aimés, disputés, puis à nouveau aimés. C'était dans cette pièce qu'elle lui avait annoncé qu'elle était enceinte, et dans cette même pièce qu'elle avait fait sa première fausse couche, puis toutes les autres qui avaient suivi. Jusqu'au jour où le médecin lui avait annoncé qu'elle ne pourrait jamais avoir d'enfants.
Elle en avait pleuré, et Andrew l'avait réconfortée, ici même.
C'était dans cette pièce qu'ils avaient connu leurs joies et leurs peines, avec toutes les nuances qui accompagnaient ces deux extrêmes.
Mais surtout, surtout, c'était dans cette pièce qu'elle était morte.
Andrew tenait absolument à garder le souvenir d'Ellie intact. Il avait l'impression que, si quelqu'un d'autre entrait dans leur chambre, cela équivaudrait à piétiner leur intimité et leur espace vital, ou pire : profaner sa mémoire.
Jude soupira, se décala et abdiqua :
- D'accord, mais promets-moi d'ouvrir la fenêtre un de ces quatre !
Andrew approuva pour faire plaisir à son frère, mais fut certain qu'il oubliera ses mots aussitôt après les avoir prononcés. L'odeur d'Ellie avait envahi toute la chambre, il était hors de question d'aérer et de risquer de la faire partir. Même les draps s'étaient imprégnés de son parfum. Il ne les avait pas changés depuis si longtemps...
Jude se dirigea vers la cuisine, suivit par son frère, et mit en route la machine à café. Pendant que cette dernière était en train de chauffer, il en profita pour faire un peu de vaisselle et pour demander à Andy s'il avait mangé, aujourd'hui.
- Non., répondit simplement l'intéressé.
Puis il s'assit. Ses gestes et ses réponses étaient mécaniques, à l'instar de l'intégralité de sa vie depuis la mort d'Ellie.
- Tu sais quelle heure il est ?, se risqua Jude.
Une fois de plus, Andrew répondit par la négative.
- Il est quinze heures, Andy. Je sais que tu t'en fiches, mais... Bon sang, tu ne vas pas continuer à vivre comme ça éternellement !
Andrew baissa les yeux, soupira et répondit simplement :
- Je ne vis plus, tu le sais très bien.
- Andy, ça fait plus d'un an, aujourd'hui..., s'indigna doucement son frère. Je sais que je ne peux pas imaginer à quel point c'est difficile, mais s'il te plaît, fais un effort !
- Non, tu ne peux pas, effectivement.
Jude ne répondit rien. Il tenta de reprendre son calme tout en servant le café brulant dans deux tasses, avant de s'asseoir en face de son frère.
- Tu pourrais venir dîner à la maison, un de ces quatre... Ça ferait plaisir à Alice et aux enfants de te voir.
- Tu parles. Je vais plomber l'ambiance si je viens. Je sais qu'Alice n'a pas envie de me voir, pas plus que mes nièces, et je me doute que tu fais ça par pure charité.
« Plomber l'ambiance. » C'était la seule chose qu'Andrew aurait réussit à faire, s'il venait à ce dîner. Son malheur et son désespoir étaient si forts, qu'il serait parvenu à déprimer le plus heureux des hommes rien qu'en étant à ses côtés, sans avoir le moindre mot à dire.
C'était Ellie qui avait la plus grande joie de vivre, de toute façon. Elle était son rayon de soleil, et maintenant qu'elle était partie, ceux de l'extérieur lui semblaient sans saveur.
- Andy, je t'assure que ça nous ferait plaisir..., insista Jude.
Mais Andrew était loin d'être enthousiaste. Il lâcha un « peut-être » à la dérobée, un peu pour que son frère le laisse tranquille, un peu parce qu'il le pensait vraiment, puis but une gorgée de café et manqua de se bruler la langue, tout en pensant qu'en fin de compte, Jude avait sûrement raison.
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Cadavre Exquis {correction à venir}
Short StoryAprès la mort précoce de sa femme Ellie, Andrew est complètement dévasté. Il tente tant bien que mal de se reconstruire et de reprendre goût à la vie, en vain. Jusqu'au jour où il découvre un étrange message lui étant adressé.