Cadavre Exquis {correction à venir}

Quatrième partie.

Les réveils étaient souvent difficiles pour Andrew, surtout lorsqu'il s'était couché à près de quatre heures du matin la veille. Il ouvrit les yeux, doucement, et se remémora peu à peu la journée d'hier. Le repas, Jude, la vidéo...
Le mot ! Le mot laissé par Ellie ! Celui qu'il avait trouvé sur la table de la cuisine !
Il regarda lentement sa main droite et constata qu'il n'avait pas lâché le bout de papier durant la nuit. Soudain, tout devint clair, il réagit enfin.
Ellie. Ellie lui envoyait un message de l'au-delà. Il avait reconnu son écriture, il en était certain : c'était forcément elle. Pourtant, un doute persista, il avait besoin d'en être sûr.
Sans lâcher le mot qu'il tenait précieusement, il attrapa, de sa main libre, le téléphone posé à côté de son lit sur la table de chevet, pianota un numéro, et colla le combiné à son oreille. À l'autre bout du fil, trois tonalités se firent entendre avant que quelqu'un ne décroche :
- Allô ?
- Jude ? C'est moi.
- Andy ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Je... Je ne sais pas... Enfin... Il faut que je te demande quelque chose.
Jude, surpris, bafouilla un instant et ajouta :
- Je t'écoute...
- Hier, quand tu es venu chez moi... Est-ce que tu as écrit un mot que tu m'aurais laissé sur la table de la cuisine ?
Un petit instant d'hésitation, puis la réponse :
- Non, pourquoi ?
- Alors peut-être qu'il serait tombé de ta poche et que tu l'aurais oublié là ?
- Non, c'est impossible. Je ne prends jamais de notes papier, je fais tout avec mon Smartphone, tu le sais bien.
Andrew marqua une pause, se frotta les yeux avec le revers de sa main droite, et dit :
- Oui, c'est vrai. Excuse-moi, j'avais oublié.
- Bon écoute Andy... Je ne sais pas ce qu'il t'arrive, mais il va être treize heures, je dois retourner travailler, là. Désolé. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu pourras rappeler dans la soirée, après vingt heures, d'accord ? Tu n'as pas oublié que tu viens dîner chez nous dans deux jours ?
- Je sais. À dans deux jours.
Et sans laisser le temps à son frère de lui dire au revoir ou de répondre quoi que ce soit, il raccrocha.
Il se leva d'un bond, se dirigea vers la cuisine, attrapa un stylo au vol, s'assit à sa table et se concentra. C'était là que tout avait commencé. Ellie avait réussi à communiquer avec lui depuis l'au-delà, par quel miracle il n'en savait rien, mais peu importait, car Andrew n'était pas quelqu'un de rationnel, surtout pas depuis la mort de sa femme.
Il n'avait jamais eu une imagination débordante, ni une grande croyance envers les choses surnaturelles ; mais pourtant aujourd'hui, en cet instant précis, il avait envie d'y croire plus que tout. Alors il saisit son stylo de sa main gauche, et, toujours sans déplier ce qui cachait la première partie de la phrase, il écrivit une suite : « pour aller dans la forêt de Sherwood cueillir des... », et replia ensuite le papier afin de dissimuler sa phrase et de laisser uniquement le « des » dépasser.
Voilà, maintenant il ne restait plus qu'à attendre une réponse.
Il déposa le stylo au centre de la table, à côté du mot qui n'en n'était pas tout à fait un. C'était plus qu'un simple mot laissé là au hasard : c'était un cadavre exquis, et cela prouvait bien qu'il ne pouvait être que l'œuvre d'Ellie.
Andrew et Ellie s'étaient rencontrés au lycée. Ils étaient tous les deux dans la même classe et avaient de nombreux cours en commun. Très vite, ils s'étaient rapprochés, et passaient la plupart de leur temps assis l'un à côté de l'autre pendant la classe, et souvent, lorsque les cours les ennuyaient, ils s'amusaient à se distraire avec l'aide d'un petit jeu bien connu : le cadavre exquis.
Le principe était simple : une personne commençait à écrire une phrase sur un morceau de papier, puis la cachait en laissant dépasser uniquement le dernier mot ou article, et une autre personne devait écrire la suite sans prendre connaissance de ce qui avait été écrit avant. Au final, on se retrouvait avec des phrases sans queue ni tête, dénuées de sens mais tellement drôles. Ellie et Andy en avaient eu des fous rires, grâce à ce jeu-là.
C'était leur petit truc à eux. Andrew en avait même gardé quelques uns, qu'il conservait précieusement dans un carnet souvenir. À cette époque, leur relation avait simplement un caractère amical. Ce n'est qu'à partir de l'université, alors qu'ils s'étaient encore retrouvés dans la même section, qu'ils avaient commencé à tomber amoureux l'un de l'autre. Andrew avait compris à quel point Ellie était une femme merveilleuse, dans tous les sens du terme. Aussi belle qu'intelligente, généreuse et altruiste. Il s'était longtemps demandé comment il avait fait pour ne pas s'en rendre compte plus tôt, pour avoir laissé d'autres filles l'éclipser, pour l'avoir considérée comme une simple amie...
Sans doute n'était-ce pas le moment, le Destin avait peut-être décidé de les réunir plus tard, avant de les séparer de la manière la plus violente qui soit.
Mais aujourd'hui, enfin, d'une certaine manière, ils étaient à nouveau en contact.
« Je le savais Ellie. » pensa Andy. « Tu es restée à mes côtés pendant tout ce temps. »