Sixième partie

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Ellie, mon Amour ;
Chaque jour je me lève en pensant que le monde est plus beau depuis que je t'ai rencontrée. Jamais je n'aurais pensé pouvoir aimer autant, jamais je n'aurais pensé avoir autant besoin de quelqu'un, jusqu'à ton arrivée dans ma vie.
Tu étais mon pilier, mon mentor, ma reine ; celle qui m'a aidé à me relever quand j'étais à terre, celle qui m'a retenu quand j'étais sur le point de tomber, celle qui m'a fait grandir et évoluer. Tu m'as tout appris, et je te dois bien plus qu'une simple histoire de cœur.
C'est grâce à toi si je suis devenu l'homme que je suis aujourd'hui, et je ne sais vraiment pas où j'en serais si la vie ne t'avais pas mise sur mon chemin.
Je pense tout le temps à toi. Chaque seconde, chaque minute, chaque heure de chaque jour, je pense à toi. Je pense à ce qu'aurait pu être notre histoire si nous avions vieilli ensemble, je pense à tout ce qu'on aurait pu accomplir tous les deux, si la mort ne t'avait pas brutalement arrachée à moi.
J'aurais pu t'offrir le monde, et même bien plus encore.
J'aurais donné n'importe quoi pour toi. Je me sentais comme si je pouvais déplacer des montagnes et assécher des mers. Je serais même aller cueillir des étoiles pour toi, si tu me l'avais demandé. T'avoir à mes côtés était le plus merveilleux des cadeaux du monde, et je sais aujourd'hui que la plus belle chose que j'aurais accompli dans ma vie aura été de t'aimer. Peu importe ce que l'on pouvait croiser sur notre route, je n'ai jamais cessé une seule seconde d'être amoureux de toi, et je ne cesserai jamais de l'être. Mon cœur t'appartient, et il t'appartiendra toujours.
J'étais perdu, sans toi. Je me sentais comme un naufragé à la dérive, sans la moindre terre à l'horizon. Aucun port, aucune île, aucun espoir auquel m'accrocher. C'était toi et personne d'autre. Personne d'autre que toi n'aurait pu me sauver.
Mais tu n'étais pas là. Tu n'étais plus là.
Ellie, j'ai compris maintenant.
Longtemps je me suis demandé si tout ceci avait un sens : ta mort, ma lutte pour survivre dans un monde où tu n'es pas, ton retour soudain alors que je ne l'espérais plus... Aujourd'hui je sais que tout cela est loin d'être lié au hasard.
J'ai dû relire tes messages une bonne trentaine de fois pour être sûr que je ne me trompais pas, mais il n'y a aucun doute possible.
« Tu es le seul qui puisse te sauver. » C'est ça, n'est-ce pas ? C'est ce que tu essayes de me dire ?
Toutes tes phrases, dans nos cadavres exquis, formaient en fait un message que tu m'avais adressé. Je le sais maintenant, je le vois.
Cette phrase est la première que j'ai pu découvrir en tentant de réunir tous ces mots qui semblaient n'avoir aucun rapport entre eux ; mais la deuxième était bien plus forte que toutes celles que j'aurais pu imaginer.
« Rejoins-moi. »
Oh Ellie ! Si tu savais à quel point je le souhaite ! Si tu savais à quel point j'ai essayé, toutes les fois où j'ai tenté de mettre fin à mes jours dans l'espoir de revoir ton sourire. Pourtant, à chaque fois, on aurait cru que quelque chose m'accrochait à la vie, comme si quelqu'un voulait m'empêcher de partir. Mais quoi, ou qui ? Plus rien ne me retient à ce monde, si tu n'y es pas à mes côtés. Peut-être était-ce la Mort qui ne voulait simplement pas de moi ?
J'aurais tant voulu partir. J'aurais tant voulu m'endormir et ne plus jamais me réveiller, rester coincé à jamais dans ce rêve que je faisais toutes les nuits, ce rêve où toi et moi, nous étions heureux ensemble. Je voulais mourir. Je n'aurais pas eu la force d'attendre des années avant qu'une maladie ou que le temps ne m'emporte et me donne le privilège de te revoir enfin. Pour certains, le suicide est un acte lâche et égoïste qui consiste à priver les autres de son existence en choisissant la solution de facilité. Pour moi, c'est l'un des actes les plus courageux qui soit. Ôter la vie de quelqu'un n'est pas simple, mais cela doit l'être encore moins quand il s'agit de sa propre existence. Pourtant, à quoi bon rester si tu n'es pas là pour moi ? À quoi bon rester si c'est pour devoir vivre le reste de mon existence sans toi ?
On voulait mourir ensemble, tu te souviens ? On s'était promis qu'on vivrait vieux et heureux, dans une petite maison au bord de la côte bretonne. Je n'ai jamais renoncé à ce rêve. Je n'ai jamais renoncé à toi.
C'était toi mon rêve, après tout, et il n'y a rien de plus triste au monde que d'abandonner un rêve. Ellie, jamais je ne t'abandonnerai. J'ai cru, par un temps, que c'était toi qui l'avait fait. Pour être honnête, je t'en ai même voulu. Tu m'avais laissé seul, privé de toi, affronter ce monde horrible dans lequel je ne trouvais pas ma place. Pardonne-moi mon Ange, car je sais désormais que tu n'as jamais cessée d'être à mes côtés. Je sais maintenant que tu es là pour me guider, et je sais que grâce à toi, ce soir, j'aurais le courage de passer à l'acte une ultime fois, car je sais qu'il est temps. La Mort m'acceptera enfin.
Oh mon Amour, je vais enfin revoir ton si doux visage.

Andy reboucha son stylo et relu une dernière fois la lettre qu'il venait d'écrire à son aimée.
Comment diable avait-il pu passer tout ce temps sans comprendre ce qui était évident ? Perde quelqu'un à qui l'on tient à ce point, c'était insupportable. Il ne savait même pas comment il avait survécu pendant les treize derniers mois, mais maintenant qu'Ellie le réclamait, maintenant qu'elle lui demandait clairement de venir à ses côtés, il se sentait comme soulagé.
Tout semblait limpide comme de l'eau de roche, son esprit était désembué, même le chagrin paraissait moins important.
Il plia la lettre en trois parts égales et la laissa négligemment posée sur la table de la cuisine. Peut-être que son frère ou la police la trouveront. Peut-être qu'ils comprendraient. Dans le fond, il espérait que ce soit Ellie qui la découvre la première, mais peut importait, puisqu'il allait pouvoir lui dire toutes ces belles choses en face désormais.
Il se leva et alla chercher au fond de son buffet une vielle bouteille d'absinthe qu'il avait ramenée d'un de ses voyages en Europe. Une boisson délicieuse, au fort degré d'alcool, qu'il aurait aimé partager un soir avec sa femme. C'était une manière à eux de se rappeler le bon vieux temps où ils étaient étudiants.
Il éteignit ensuite la lumière de la cuisine et toute la maison se retrouva plongée dans le noir. Avec le plus grand calme possible, et sans la moindre difficulté puisqu'il connaissait le chemin par cœur, il se dirigea vers la salle de bain, y alluma le faible éclairage de l'armoire à pharmacie et attrapa les deux boites de somnifères pleines qui s'y trouvaient. Le néon grésilla pendant quelques secondes avant de s'éteindre complètement, plongeant à nouveau Andy dans le noir total. Il rangea les comprimés dans la poche de son vieux jogging, et, sa bouteille d'absinthe toujours en main, rejoignit sa chambre à coucher. Tout devait se finir ici, c'était dans la logique des choses. Après tout, c'était là que tout avait commencé.
La chambre était l'endroit le moins sombre de la maison. Les rayons de la lune passaient au travers des persiennes et venaient éclairer le bord droit du lit, sur lequel Andrew s'assit. Il sortit ensuite les deux boites de médicaments de sa poche, en ouvrit d'abord une, puis l'autre, et fit glisser la moitié des cachets de la première boite dans sa bouche. Afin de faire passer tout ça, il déboucha sa bouteille d'absinthe et en but une longue gorgée. L'alcool était fort, il lui brûla instantanément la gorge et l'estomac, et déjà il sentait les effets de ce doux poison sur son organisme. Alors, après s'être adossé à la tête de lit et avoir allongé ses jambes afin que sa position soit plus confortable, il avala le reste des cachets de la première boîte, et renouvela encore l'opération jusqu'à ce qu'il n'en reste aucun. Au final, il avait avalé plus d'une trentaine de pilules et bu presque un litre de spiritueux.
  Il s'allongea lentement, en position fœtale, le regard placé vers la fenêtre, et souleva faiblement son bras pour constater ce qu'il lui restait d'absinthe. À peine vingt centilitres... Il porta le goulot à ses lèvres – autant tout finir -, et bu d'une traite le liquide qui lui réchauffa les entrailles, avant que sa main ne laisse échapper la bouteille qui s'effondra au sol dans un bruit sourd. Son corps devint alors faible, et ses paupières s'alourdirent. Comprenant que le moment était bientôt venu, il se tourna vers la gauche, dans un dernier effort, et sourit à la vue que lui offrirent ses yeux avant de s'éteindre.
À ses côtés, vêtu d'une somptueuse robe de mariée quelque peu grisonnante, gisait un corps qui fût autrefois celui de sa femme.

Cadavre Exquis {correction à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant