- Tu veux manger quelque chose ?, demanda Jude à son frère.
Ce dernier hocha négativement la tête et s'alluma une cigarette. C'était bien sa seule nourriture, désormais : une cigarette pour lui couper la faim.
Andrew était un ancien fumeur, il avait arrêté peu après son mariage avec Ellie, par amour pour elle. « Préserve ta santé, je t'en prie ! » qu'elle disait, et c'était elle qui était partie.
Alors Andrew s'était remis à fumer. Quelques semaines après la mort d'Ellie, précisément. Il avait tenté de résister, puis avait acheté un paquet « juste pour faire passer la douleur », comme il disait. Finalement, il s'en été racheté un autre, et un autre, et encore un autre après cela. Au début, ça lui faisait tellement de bien, il se sentait calme, détendu, il oubliait tout, et chaque bouffée lui donnait l'impression factice d'un soulagement et d'une douleur réduite. Le mieux restait tout de même cette sensation de se détruire la santé et de se rapprocher encore un peu plus de la mort. C'était surtout pour cette raison-là qu'il fumait : pour l'autodestruction.
Malheureusement au bout d'un moment, la clope ne faisait plus d'effet du tout. Cette sensation que procure la nicotine, on ne la sent plus, et nous faisons ce geste par habitude : s'allumer une cigarette, la fumer, en rallumer une autre quelques heures plus tard, et ainsi de suite jusqu'à avoir fini le paquet et en commencer un nouveau. Andrew fumait désormais par habitude et par ennui. Si Ellie le voyait, de là-haut...
Parfois, il se disait qu'elle aurait été déçue de ce qu'il était devenu, qu'elle l'observait et qu'elle se sentait triste de le voir ainsi. Voilà pourquoi il ne fumait jamais dans leur chambre. La maison empestait le tabac froid, il était hors de question que cette odeur remplace celle du parfum délicieux de Ellie qui était resté, au moins un peu, dans la chambre.
Jude se leva et alla ouvrir la fenêtre de la cuisine afin de chasser un peu l'odeur de la cigarette, et d'aérer au moins une fois dans la semaine. Il tendit un cendrier propre à son frère, et ajouta :
- Tu ne vas pas continuer à agir comme ça éternellement enfin. Tu attends quoi au juste ? D'avoir un cancer ?
- Fous-moi la paix, Jude.
Andrew voulut répondre « oui, oui j'attends, j'espère avoir un cancer », mais dans le fond, il savait très bien que son frère essayait de le raisonner et de faire en sorte qu'il fasse des efforts. Le problème était juste qu'il ne voulait pas en faire, des efforts. Il était habitué à sa vie désormais, il se complaisait dans sa misère. En vie, mais pas vivant pour autant.
Ce n'était pas faute d'avoir essayé, pourtant.
Un soir, après un effort surhumain envers lui-même, il avait accepté de sortir à un galla de charité organisé par la société de Jude. C'était quelques temps après la mort d'Ellie, peut-être six ou huit mois après, environ. Il avait rejoint son frère, sa femme Alice, et leurs deux filles : Pénélope et Cassandre, pour cette soirée mondaine ô combien ennuyante. Un costard cravate, du champagne, des petits fours, et la sensation désagréable de ne pas être à sa place du tout.
Là-bas, son frère l'avait mis en relation avec une femme charmante du nom de Stephany. Une blonde aux yeux bleus, comme Ellie, mais tellement moins belle et tellement moins intéressante. À vrai dire, à côté d'Ellie, toutes les femmes semblaient moins belles et inintéressantes. Et cela ne datait pas seulement de sa mort, ça remontait au jour où ils s'étaient mariés, quand Andrew l'avait vue arriver dans sa somptueuse robe blanche, un bouquet de roses rouges à la main... Cette image restera à jamais gravé dans sa rétine, et à chaque fois qu'il y repensait, c'était l'Apocalypse dans son cœur. Un déluge de sentiments qui passaient de la joie à la tristesse, puis enfin la douleur et la haine. La haine d'avoir perdu Ellie trop tôt.
La femme du nom de Stephany s'était avancée vers lui, lui avait tendu la main, et, dans un sourire qui dévoilait des dents sûrement blanchies quelques heures auparavant, avait lancé un délicieux : « Bonjour. Vous êtes Andy je présume ? »
« Andrew. », avait-il répondu. Juste Andrew. Il n'y avait que son frère, et Ellie, qui l'appelaient par son diminutif.
Il s'était forcé à sourire, par politesse, car la seule chose dont il avait eut envie en cet instant précis était de s'enfuir en courant et de ne plus jamais revenir, ou encore d'aller se jeter du haut d'un pont. Il était en train de se perdre dans ses pensées suicidaires quand la femme avait ajouté :
« Vous êtes marié ? »
Elle avait sans doute remarqué l'alliance au doigt d'Andrew, il ne l'avait pas enlevée. C'était pour lui une manière de jurer fidélité à Ellie jusque dans l'éternité.
« J'étais. » avait-il répondu. « Elle est morte. »
Le sourire et l'éclat dans les yeux bleus de Stephany s'étaient alors éteints d'un seul coup. Comme d'habitude, et comme tous les autres, elle n'avait pas su comment réagir. Alors elle avait simplement lâché un bref « je suis désolée. » avant de prétexter une excuse pour mettre court à leur semblant de conversation.
Tout le monde évitait le sujet, comme s'il faisait fuir. Tout le monde évitait Andrew, à croire que le fait d'avoir perdu un être cher vous rendait repoussant et antipathique, que gens ne voulaient pas être contaminés par votre état dépressif.
« Andy, Stephany est une femme charmante, qu'est-ce que tu lui as fait ? » avait demandé Jude à son frère quelques heures plus tard.
« Je lui ai simplement dit que ma femme était morte. »
« Mais enfin ce ne sont pas des choses à dire dès la première conversation ! »
« Et alors quoi ? », s'était indigné Andrew. « Il aurait fallu que je le cache !? Cette histoire fait partie de moi, et Ellie fait partie de moi aussi. Il va falloir que tu l'acceptes ! Il va falloir que tout le monde l'accepte... »
« Ce n'est pas moi qui ai un problème d'acceptation... », avait lâché Jude dans un souffle, mais Andrew était déjà partit fulminer dans son coin, fatigué par cette soirée, fatigué de devoir faire semblant d'aller bien pour plaire à la foule.
Il n'était plus jamais sortit, depuis, Jude ne lui avait d'ailleurs pas fait d'autres propositions, surtout quand il s'agissait d'évènements publics. Mais venir chez lui, voir sa belle-sœur et ses nièces, était-ce une bonne idée ?
Il écrasa son mégot de cigarette dans le cendrier et se leva pour aller fermer la fenêtre.
- Il va faire froid., dit-il à son frère devant son air interrogatif. Ils m'ont coupé le chauffage.
- Pardon ? Andy, tu aurais dû me le dire...
- Je ne veux plus que tu payes mes factures.
Depuis qu'Andrew s'était retrouvé sans emploi, Jude s'était assuré qu'il continue à vivre de façon décente. Tous les mois, il lui versait une petite somme d'argent qui, en plus de ce qu'il touchait grâce à l'allocation chômage, lui permettait de payer ses factures d'eau, de téléphone et d'électricité, ainsi que le prêt qu'Ellie et lui avaient contracté pour acheter la maison. Il lui faisait même ses courses, car Andrew ne sortait plus du tout de chez lui, sauf pour aller s'acheter de l'alcool et des cigarettes de temps en temps, à l'épicerie du coin. En réalité, il était devenu complètement dépendant des services de son frère, et cette situation commençait à l'agacer.
- Tu attends quoi au juste, qu'ils te mettent à la porte ?
- Jude, laisse-moi vivre ma vie comme je l'entends à la fin., soupira Andrew.
- Mais ce n'est pas une vie que tu as, enfin ! C'est... Je ne sais même pas ce que c'est.
Le jeune veuf réfléchit un moment, le regard perdu dans le vide, avant d'ajouter :
- Si je te promets de venir dîner chez Alice et toi ce week-end, tu me laisseras tranquille ?
Une lueur parcouru le visage de Jude, il sourit faiblement comme pour dissimuler son enthousiasme, et répondit :
- Bien entendu. Samedi soir alors ? Je viendrais te chercher, pour être certain que tu n'oublies pas et que tu ne te décommandes pas.
Andrew soupira et acquiesça. Il avait promis...
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Cadavre Exquis {correction à venir}
Cerita PendekAprès la mort précoce de sa femme Ellie, Andrew est complètement dévasté. Il tente tant bien que mal de se reconstruire et de reprendre goût à la vie, en vain. Jusqu'au jour où il découvre un étrange message lui étant adressé.