Chapitre 2 (1/2)

552 14 4
                                    

Vingt heures moins le quart. Tout est en place.

J'ignore l'heure exacte à laquelle le démon pointera le bout de son museau velu.

L'information ne m'a malheureusement pas été communiquée quand j'ai reçu le message éphémère me rappelant l'échéance du contrat, en début de semaine. Il m'a été transmis au moyen d'une forme vaporeuse et flippante apparue dans un miroir, alors que j'étais occupée à recoiffer ma tignasse blonde en désordre. J'ai manqué de peu de finir borgne.

La voix d'outre tombe qui était assortie à cette apparition cauchemardesque s'est contentée d'un « Dans trois jours, il viendra pour toi. Le crépuscule signera la fin de ton état ». Après quoi le spectre messager s'en est retourné dans les limbes.

Je devrais sans doute m'estimer heureuse d'avoir au moins une vague idée du moment de la journée auquel Cobel envisage de se pointer. L'attente a été suffisamment stressante comme ça pour ne pas avoir en plus à faire le pied de grue dès les premières lueurs du jour, les nerfs en pelote à force de sursauter à chaque sifflement d'air à proximité.

Nous sommes au beau milieu du mois de juin. Le soleil se couche à vingt heures en cette période de l'année. La fin est proche.

La sienne, pas la mienne.

La potion de métamorphose est cachée dans ma manche. Dès que le monstre apparaît, je fais exploser la fiole à ses pieds.

Je l'ai minutieusement préparée quarante-huit heures en amont. Ni trop tôt, pour éviter que son efficacité ne se trouve altérée, ni trop tard, dans le cas où ce vil personnage déciderait de faire son entrée plus tôt que prévue.

En principe, les potions de métamorphoses peuvent être lancées jusqu'à huit jours après leur création, mais on n'est jamais trop prudent.

Le sérieux avantage qui m'a poussée à opter pour cette solution, c'est qu'à moins de concocter un contre-sort, l'effet dure ad vitam aeternam.

J'avais testé son efficacité sur un vieux pervers dès ma troisième année d'activité. La dernière fois que j'ai pris de ses nouvelles, le miséreux était toujours occupé à gober les mouches dans un recoin humide de ma cave.

Je regrette seulement de ne pas avoir eu assez de bave de crapaud en ma possession pour m'essayer au sort plus récemment. Mais de toute façon, je n'avais pas forcément de cobaye sous le coude — je ne pouvais pas compter sur le vieux pervers sur ce point puisqu'une victime de métamorphose ne peut pas en subir une seconde...

Aucun problème, m'encouragé-je. J'ai confiance en mes compétences. J'ai largement eu l'occasion de faire mes preuves et je me prépare pour ce jour depuis des années.

Cobel ne peut certainement pas en dire autant. Les démons sont réputés indestructibles : ils sont presque impossibles à tuer et pas faciles à contrôler. Compte tenu de ces éléments, lui-même doit se penser hors d'atteinte.

J'ai parcouru mon grimoire en long, en large et en travers pour trouver la faille qui me permettrait de lui résister.

Au premier abord, les sorts contenus dans le livre semblaient assez bénins et pas vraiment utiles à cet égard : filtre d'amour — je ne tiens pas à le rendre accro à moi outre mesure... Faut voir la bête — ; sérum de vérité — pour qu'il me dise à quel point il aimerait me sucer l'âme, non merci — ; potion d'invisibilité — ça aurait pu s'avérer pratique, mais elle ne dure qu'une poignée de minutes, trop peu pour échapper à un adversaire doté de capacités surnaturelles...

Après avoir projeté chacune des options qui s'offraient à moi les unes après les autres, mon choix s'est finalement porté sur un bon vieux sort de métamorphose, probablement le plus méchant de mon grimoire — j'imagine qu'en tant que bon pactiseur infernal, il n'était pas dans l'intérêt de Cobel de me remettre un ouvrage contenant des formules pouvant véritablement nuire à son espèce.

On va voir ce que tu dis de ça !

En transformant ce sinistre démon en une adorable petite grenouille inoffensive, le concerné ne devrait pas être en mesure de me soulever jusqu'en enfer.

Je pourrais le garder auprès de moi en tant que familier, histoire d'avoir un œil sur lui jusqu'à la fin de ses jours.

Je tiens là la meilleure des échappatoires, j'en suis convaincue.

— Lily Brown, l'heure est venue.

— Aaaaah !

Je fais volteface, le cœur battant à tout rompre après avoir effectué un bond de deux mètres de haut.

Ce traître m'a eu par surprise.

Il est encore plus laid que dans mes souvenirs.

Une vision d'horreur qui m'arrache des frissons incontrôlés.

Cobel se dresse sur ses deux pattes arrières, le dos vouté à cause de sa stature hors norme qu'il ne parvient pas à déplier complètement sans toucher le plafond. Sa gueule béante ne me laisse rien manquer des deux rangées de dents acérées qui pointent de façon menaçante dans ma direction. Quant à ses yeux rouges légendaires, ils flamboient d'une anticipation dangereusement satisfaite.

Il ne m'en faut pas plus pour passer à l'action.

Je fais glisser la petite fiole depuis l'ourlet de ma manche jusqu'à ma main droite et, avec une précision exemplaire, je la jette énergiquement pour qu'elle vienne se fracasser aux pieds du géant poilu.

Son regard se teinte aussitôt de surprise. Un hurlement caverneux lui échappe alors que son corps entame sa lente métamorphose.

Mon sourire se fait de plus en plus grand à mesure que je réalise le succès de mon entreprise... pour se faner presque aussi vite quand les traits monstrueux de la mocheté qui me surplombe laissent leur place à un minois des plus attrayants.

C'est quoi ce délire ?

Rien à voir avec un batracien !

C'est un véritable éphèbe qui me fait face. Un beau brun, sexy en diable, tout en muscles... et surtout très nu. Il n'y a d'ailleurs pas que son torse sculpté en V qui me fait saliver, le bougre est fort bien pourvu anatomiquement parlant. Son cinquième membre est sans doute le mieux proportionné qu'il m'ait été donné de voir jusqu'à maintenant. Long, large...

— Que m'as-tu fait, Humaine ?!

Bordel de merde !

Sexy Cobel inspecte son corps d'apollon avec un dégoût manifeste. Il perd de plus en plus de couleurs à mesure qu'il constate l'ampleur des dégâts.

Je remets très vite les pieds sur terre en remarquant que ses yeux carmins me scrutent maintenant avec fureur.

Je suis dans la mouise.

Potion ratée, démon lustré (histoire érotique - Editée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant