Dimanche 5 décembre
Gillian
Le béton des sentiers du parc défile sous mes baskets. Une envie de fumer a failli m'emporter, à peine les grilles de l'hôpital passées. Elle s'est pourtant vite écartée au moment où j'ai serré le poing, laissant le platine de mon bracelet de paume creuser ma main. Sa présence chaude me revigore. De l'extérieur, ça doit sûrement paraître saugrenu. C'est un bijou de soirée, fait pour scintiller, habiller une robe, pas un accessoire à cacher sous les manches trop longues d'une doudoune déjà usée. Mais je m'en fiche, tant qu'il me fait du bien. Ce minuscule mandala me rappelle que je peux décider de ce que peut contenir ma vie.
— Ma Gigi !
Ma mère me signale sa position depuis l'entrée de la clinique d'addictologie. Elle fume sous un auvent, un bras replié contre elle pour se protéger du froid ambiant, parquée au milieu d'un groupe qu'elle semble bien connaître.
La pluie pique les paysages en milliers de petits paquets d'aiguilles douces. Un sourire s'étire sur mon visage tandis que je longe les parcelles occupées par les chèvres. Elles se fichent pas mal de la météo et se repaissent de leur herbe mouillée, attirant l'attention de pas mal de patients. Je ne connais pas trop cette partie du parc hospitalier. Quand j'étais dans l'unité libre, je me promenais souvent, mais fuyais cet endroit, par peur de me reconnaître un peu trop parmi les vies écartelées qui peuplent la clinique, par peur de rechuter aussi.
Une petite fierté gonfle en mon sein à mesure que j'avance. Celle de la liberté. J'évite soigneusement les flaques d'eau qui se forment au creux de macadam défoncé par les racines des sapins géants avec l'envie de sautiller.
Je n'ai pas ressenti de craving pour la cocaïne depuis mon sevrage. Je me sens sereine, même si rien n'est réglé. Munie de cette positivité à toute épreuve, je me dirige vers ma mère qui s'empresse d'écarter les bras. Ses Crocs foulent l'herbe humide. Elle n'y prend pas garde, seulement intéressée par l'idée de me presser contre elle.
Je sens la cigarette se consumer près de moi, autant que le parfum de ma mère. Une note florale, son shampoing peut-être ? Quelque chose d'agréable, bien loin des vapeurs de son haleine alcoolisée, de ses cheveux enfumés de cannabis.
— Gigi. Qu'est-ce que je suis contente de te voir là, ma grande !
Sa voix éraillée par le tabac m'enfonce ses tons chauds dans le cœur. Je ressens sa joie, sa fierté aussi.
— Salut, maman ! Tu fumes en addicto ? Ben bravo !
Elle rit de bon cœur, me tapote le dos avant de tirer une taffe puis de m'en proposer une. J'essaye de fumer de moins en moins, ne m'autorisant une cigarette qu'à la pause au boulot avec Gavin, mais celle-ci je l'accepte. Je crois que je n'ai jamais partagé de moment de ce genre avec ma mère.
J'ai commencé à fumer pour déstresser entre autres – l'argument idiot de base puisque j'ai vite constaté que ça produisait l'inverse – alors je me retrouvais souvent à fumer seule dehors ou en cachette dans ma chambre après des disputes ou une mauvaise descente de cocaïne.
Je me rends compte que je n'ai pas dû être facile. Avec le recul, je ne vois pas comment ma mère malade, incapable de se gérer seule, aurait pu gérer sa fille atteinte de la même pathologie addictive.
— Alors ? Comment tu te sens ? je demande, occupée à allumer ma cigarette.
— Bizarre... Je redécouvre mon corps et le temps qui passe. C'est bien, je présume. Mais c'est trop tôt pour faire la fête, je sais bien...
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Les ombres précieuses. (WxW) [terminé]
RomantiekGillian se bat pour guérir. Récemment sevrée de drogues, elle tente de se reconstruire, tiraillée entre ses responsabilités familiales et sa santé physique comme mentale. Le monde extérieur l'effraie, et à l'abri des murs de l'hôpital, elle peine à...