GROSSE ET ALORS ? [Tome 2]

31. Un diner exaltant

Julia repousse la boulette de viande avec sa fourchette tandis que monsieur Hayes bavarde joyeusement en parlant d'une voix forte et désagréable. Je ne me sens pas à ma place autour de cette grande table auprès d'un homme aussi mauvais que fourbe. J'ai accepté cette invitation uniquement par espoir de découvrir de nouvelles informations sur Clara. Je n'ose pas toucher à la nourriture par crainte de recevoir une remarque au sujet de mon alimentation.

J'ai envoyé un message à mon père pour le prévenir que je rentrerais exceptionnellement plus tard. Il m'a simplement demandé de ne pas revenir trop tard parce que ce n'est pas encore le week-end. Monsieur Hayes tente de faire la conversation même si cela ressemble davantage à un monologue. Julia ne le regarde pas, elle est silencieuse et semble presque humaine.

― Les éditeurs deviennent de plus en plus exigeants ! Mon nouveau roman est en réécriture éditoriale, mais on souhaite que je change un chapitre entier car il ne convient pas. Auparavant, l'écriture était un moyen de s'exprimer librement, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas. Je donne mon point de vue sur la vie des lycéens et cela ne convient toujours pas !

― Tu te plains depuis des semaines, papa... marmonne Julia.

Il avale une gorgée de sa boisson en lançant un regard sombre à sa fille. J'essaie de me rendre la plus invisible possible cependant je doute que cela soit possible. Il reporte son attention sur moi avec un petit sourire. Je me souviens de toutes les histoires racontées par Nathaniel et de son comportement à mon égard.

― Il est important de donner son point de vue, Julia. Mademoiselle Price est suffisamment intelligente pour comprendre les problèmes dans le monde de l'édition. J'aimerais en apprendre davantage sur l'adolescente dont mon fils est tombé amoureux.

― Tout dépend de la façon dont les choses sont racontées, monsieur. Il faut toujours faire preuve de bienveillance peu importe la situation. Les éditeurs estiment sûrement que votre travail mérite une correction plus approfondie. Je ne pense pas que ma vie vous intéresse réellement, sans vouloir vous manquer de respect.

—  Je me souviens de la première année de lycée de mon garçon. Il débordait d'énergie et imaginait vivre les meilleures années de sa vie. Au début, c'était le cas je ne l'avais jamais vu aussi heureux. Malheureusement, Nathaniel s'est toujours montré un peu trop original pour notre famille alors je ne suis pas surpris de rencontrer sa dernière petite amie en date.

La fourchette de Julia tombe lourdement sur l'assiette provoquant un bruit insupportable. Elle lève les yeux vers son père en fronçant les sourcils. La relation entre Nathaniel et Julia est peut-être compliquée cependant ils partagent un lien que je ne peux pas remettre en doute. Il cherche à la protéger malgré les problèmes de famille.

Je découpe un morceau de pain d'une main tremblante. Cet homme ne cesse de faire du mal autour de lui et je peux voir dans le regard de Julia à quel point cette situation est pesante. Faisait-elle la comédie lors du repas de départ ? Elle ne semble pas particulièrement heureuse et cette nouvelle ne me réjouit pas. J'ai toujours imaginé la vie de Julia Hayes rayonnante et pleine de paillettes. Mais je suis bien placée pour savoir que les apparences sont souvent trompeuses.

— Est-ce que je peux aller aux toilettes ? demandé-je.

— Deuxième porte à droite en montant l'escalier.

Je quitte rapidement la table pour envoyer un message à Nathaniel. Il tenait à me maintenir éloignée le plus possible pour ne pas être la source des moqueries de son paternel. Je monte les marches du grand escalier en suivant les indications données par Julia. Je m'immobilise en voyant le prénom inscrit sur la porte en question. Ce n'est absolument pas les toilettes, mais l'ancienne chambre de Nathaniel. Celle qu'il ne voulait pas que je vois parce qu'elle représente une partie de son passé.