III. Le Roi et le Valet

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Le Sübü Saçama, la feuille de chou dématérialisée la plus influente à Hajurörta, rendit hommage à Ölöma Meremia en lui consacrant une double page écrite dans un style ronflant et obséquieux. Je regardai sa photo. C'était celle d'un type souriant, sûr de lui, et plutôt beau gosse. Il avait pas dû faire cette tête lorsqu'on avait voulu le descendre et qu'on y avait réussi. La Mort est une très mauvaise esthéticienne. Tous les macchabées vous le diront. Je m'attardai sur son menton carré comme une boîte et sur ses dents qui allaient désormais rayer le parquet de l'Enfer d'Andromède. Le bonhomme avait connu une triste fin. Il avait dégringolé du sommet de la chaîne alimentaire et s'était retrouvé à crever la gueule ouverte dans une ruelle sombre, qui sentait la pisse et le désespoir.

Celui qui avait fait ça avait pas cherché les complications : Il avait visé le coeur, l'estomac et la tête. Il en avait pas mis une seule à côté. Il n'y avait eu aucun impact sur les murs de la Rättana Ganüga. C'était l'oeuvre d'un artiste du faisceau-laser, d'un cador du sulfatage.

Les résidents de la Liemana Gassa, en bons lâches qu'ils étaient, avaient joué aux singes de la sagesse : ils avaient rien vu, rien entendu, et rien dit. Le seul qui avait eu assez de couilles pour témoigner, ça avait été le clodo du coin. Il avait expliqué à la police hajurörtienne qu'il avait vu un homme et une femme se pencher sur le cadavre encore chaud du fils Meremia, mais il avait pas pu voir à quoi ils ressemblaient. Le reste de bon sens qui surnageait dans son cerveau aviné lui avait dit de se carapater en quatrième vitesse pour éviter les ennuis. Après ça, nos deux inconnus s'étaient volatilisés. Une chose était sûre : ils étaient pas venus donner l'extrême-onction à Ölöma.

Les experts en balistique avaient fait leur taf et la police avait appris que les tirs provenaient de la Katila Ganüga, une ruelle située de l'autre côté du trottoir. Mais on avait pas la queue d'un début d'indice sur l'identité de leur auteur.

L'éditorial du Sübü Saçama, lui, parlait des qualités humaines du défunt ainsi que de ses tentatives pour réformer Hajurörta. Ça tenait en quelques lignes. Après ça, le canard expliquait qu'Ölöma Meremia, ce bienfaiteur au sourire vainqueur, avait mordu la poussière et passé l'arme à gauche parce qu'il gênait certaines personnes, des gens aux mains sales qui en avaient marre de se faire passer un savon à longueur d'articles. On conseillait aussi à Ulara Peradila, le chef de la police, de rapidement mettre le grappin sur le ou les auteurs du méfait, histoire de ne pas se faire accuser d'attentisme ou de complicité. Bref, ça tirait à balles réelles. Ça donnait presque bon goût au jus de chaussettes que j'étais en train de boire. Une chose était sûre dans tout ce merdier : les andromédiens se feraient jamais coloniser pour leur café. Il était aussi dégueulasse que la manière dont Ölöma Meremia avait été abattu.

Après avoir fait un peu d'exercice, pris une douche froide et enfilé des habits propres, je sautai dans le premier taxidroïde qui passait, direction l'Öramar Güta. Je profitai du trajet pour vérifier si mon Pyrrhobolion™ FC-13 était en bon état de marche. Je demandai à la face de fer-blanc qui me servait de conducteur de me laisser environ cinq cents mètres avant la maison du mort. Il fallait que je revoie ma belle bleue et que je lui pose quelques questions. Il y avait deux trois trucs qui me chiffonnaient.

Quelques secondes et quelques cosmocrédits en moins plus tard, j'étais dans la rue la plus chicos de tout Hajurörta. Je commençai à apercevoir les lourdes portes dorées de la baraque à Meremia lorsque je changeai brutalement d'avis. Pourquoi ? Parce que j'avais vu un ophidien qui jouait au beau gosse traverser la rue devant moi. Kuur Kag, dit « Le Tortionnaire », dit « L'Écaille Écarlate », dit « Le Serpent À Sornettes ». J'en avais appris de belles sur lui, et j'avais pas envie de vérifier tout de suite si les rumeurs qui couraient sur lui étaient fondées.

Sur Andromède, On en boit au Petit-DéjeunerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant