La station Taraxienne

Chap 3 : Elizabeth

Elizabeth sursauta lorsqu'elle entendit du bruit derrière elle, s'apercevant qu'elle n'était pas seule. Elle sursauta si fort que son plateau valsa et que son diner se retrouva par terre. Une honte violente et douloureuse lui tordit l'estomac. Elle ferma les yeux en attendant l'ire inéluctable qui s'abattrait sur elle. Pourtant les coups et les insultes ne vinrent jamais. L'alien s'était approché en silence et commençait à ramasser les dégâts. Elle fut à la fois surprise et gênée.

- Oh je suis navrée, laissez-moi arranger ça, je vais m'en occuper toute seule.

Il grogna.

- Ne dites pas de sottises, vous risquez de vous blesser. Je vous en prie, allez vous asseoir.

Elle senti la colère monter en elle, les larmes poindre. Elle se demanda si c'était un effet de son imagination ou si elle entendait la voix de l'alien de la cabine partout. Elle bredouilla.

- Je ne suis pas une enfant. Je suis capable de réparer mes bêtises.

Il se redressa de toute sa hauteur, et Elizabeth ne put qu'esquisser un pas en arrière, son corps prêt à s'enfuir.

- Non, ce n'est pas ce que j'insinuais. La faute m'incombe de vous avoir fait peur. Sans cela, vous n'auriez pas sursauté et votre plateau ne se serait pas renversé. S'il vous plait, laissez-moi me rattraper.

Elle se força à se baisser pour ramasser des morceaux alors que la peur l'étreignait. Elle se répétait en boucle dans sa tête qu'il ne lui ferait pas de mal, son corps pensait l'inverse. Elle marmonna toutefois dans sa barbe, à moitié terrifiée qu'il l'entende, à moitié souhaitant être entendue.

- Fierté d'âne bâté.

Elle trembla quand il se figea. Merde, il l'avait entendue ! Il revint pourtant sans rien dire avec un balai et une pelle. Il semblait que rien ne vaille la bonne vieille méthode et qu'à travers l'univers on n'avait pas inventé de meilleurs outils, bien qu'ils soient différents. Elizabeth s'écarta pour aller jeter ce qu'elle avait dans les mains. Le ventre noué elle se dirigea vers la sortie. Tant pis pour son petit déjeuner. Elle ne pourrait rien avaler après ça.

Korman

Korman vit la fille de la ventilation s'éclipser. Il avait reconnu son odeur lorsqu'il s'était approché. Elle était belle, avec sa peau qui rougissait au fil des émotions qui la traversait, ses cheveux châtains coupés courts.

- Attendez, je vais vous refaire un plateau.

Elle fit un vague geste de la main sans se retourner.

- Je suis en retard.

Il soupira en la voyant accélérer. Décidément, il faisait tout de travers. Qu'avait-il pu lui dire pour qu'elle l'insulte ? Ce n'aurait pas été honorable de la laisser se blesser avec la vaisselle cassée. Son honneur lui interdisait également de la laisser se salir les mains s'il pouvait l'éviter. Si elle était bien El, la mécanicienne, elle ne tiendrait pas sa nuit de travail avec le ventre vide. Il se servit de quoi grignoter et emporta un plateau rempli de produits variés vers le hangar.
Arrivé sur place, il se heurta au mur de Keren, les bras croisés, qui l'empêcha de s'approcher de la fille qu'il constata effectivement être la mécanicienne.

- Mais pourquoi ?

Il se sentait rejeté et ne comprenait pas pourquoi quelqu'un refuserait de manger avant de travailler. Keren tourna la tête vers El.

- El, Korman prétend qu'il te doit un repas. Il t'a apporté un plateau.

- Je n'en veux pas ! Tu peux le jeter, ou le manger.

- Tu as entendu la dame, Korman.

Il souffla. Et s'en alla, dépité.

Elizabeth

Keren s'approcha d'Elizabeth après le départ de l'importun.

- Est-il vrai que tu n'as rien mangé ?

Il était intimidant, les bras croisés sur d'impressionnants pectoraux, son regard doré tranchant au milieu de sa peau plus noire que la nuit. Elizabeth baissa les yeux sur la boite d'outils qu'elle était en train de trier. Elle ne voulait pas le regarder en face. Elle hocha la tête, incapable d'émettre un son, honteuse.

- Soit. Si tu fais un malaise, je n'aurais d'autre choix que de t'amener à l'infirmerie.

Elle bredouilla, le nez toujours dans sa boite à outils.

- Les humains ne s'évanouissent pas s'ils sautent un repas.

Elle tenta un trait d'humour.

- Ils sont beaux les aliens qui doivent manger à tous les repas... Paye ton évolution !

- Ha ! Très drôle ! Je suis sérieux El. Tu as une sale tête. Ne viens pas me dire que tu n'as sauté qu'un seul repas et que tu dors bien.

Elle haussa les épaules. Elle n'avait pas fait une nuit complète depuis qu'elle avait été enlevée sur Terre. Alors ne parlons pas d'une bonne nuit. Quand aux repas... c'était déjà difficile avant. A la pause de minuit, elle grignota juste quelques fruits découpés. C'est à peu près la seule chose qui réussit à passer son estomac toujours noué. Keren la regarda de travers quand il vit qu'elle n'avait pratiquement rien mangé mais ne dit rien. Elle ne tomba pas dans les pommes, mais elle se sentait effectivement mal en quittant le travail à l'aube. Epuisée, morte de faim. Elle ne savait plus si la crispation de son estomac était dûe au stress ou à la faim. Elle ne réussit pas à grapiller quelque chose à manger à cause de la présence des cuisiniers qui préparaient déjà le petit déjeuner. Quand elle rejoignit son petit coin dans le conduit, son ventre la tordait de douleurs. Elle se désespérait toute seule à paniquer dès qu'il y avait quelqu'un dans une pièce. Elle se serait mis des baffes si ça avait pu la faire avancer.
Elle tenta de s'endormir, en vain. Elle entendit l'alien de la cabine au-dessus tourner plusieurs fois dans son lit, puis finalement se lever. Les crampes dans son estomac ne s'apaisaient pas. Elle finit par se croire revenue dans sa cellule sur l'autre vaisseau. La panique la prit. Peut-être finalement n'avait-elle jamais été libre ? Peut-être son cerveau drogué avait-il imaginé tout ça. Le sauvetage, les Taraxiens, son boulot de mécano... Les larmes coulèrent sur ses joues. Sa respiration s'accéléra dans une crise de panique violente. Elle entendit des pas. Elizabeth se mit à trembler.

Une grosse main apparut juste devant sa tête, tâtonnant à sa recherche. Elle hurla.