Note du : 27/04/2024
Je me souviens du jour où j'ai demandé à papa pourquoi maman était aussi paranoïaque à cause des superstitions, ça me semblait si bizarre de croire à ce genre de choses. (En réalité, ce n'est qu'une petite croyance parmi tant d'autres. Mais à neuf ans, entendre dire un adulte qu'il faut toucher du bois alors qu'il s'apprête à passer un entretien, c'est étrange.)
Mon père a caressé doucement sa barbe blonde clairsemée de blanc, un air faussement dubitatif sur le visage, parce qu'il semblait réfléchir très intensément, et il a souri. Il a souri pour dire une phrase à laquelle je ne me m'attendais pas : "Parce que nous nous sommes rencontrés sous une échelle, qu'un chat noir miaulait à mes pieds, et que nous étions vendredi treize".
J'ai souri, moi aussi. Je n'avais pas tout à fait compris le lien entre sa réponse et ma question, mais j'ai souri quand même. Parce que sa réponse m'avait rassurée, elle me montrait - aussi subtilement que cela puisse être - que je n'étais pas la seule à ne pas savoir.
Et je ne sais toujours pas pourquoi, lors de la semaine suivante, quand je marchais dans l'appartement vêtue d'une robe noire pour sa disparition, je songeais à ces paroles là. Je me revois, assise sur le canapé au beau milieu de la nuit, attendant patiemment l'heure du départ. Mon frère et ma mère dormaient profondément, et il était une heure et demi passée. Les mains cramponnées au pan de ma robe, je me revois fermer les yeux et respirer le plus lentement possible en refoulant mes larmes.
Au début, je pensais que c'était une blague. Il faisait tout le temps des blagues nulles, alors pourquoi ça ne devait pas en être une de plus ? Je pensais qu'il allait revenir avec son sourire aussi indescriptible que celui de la Joconde. Mais mon faible espoir s'était effondré quand j'ai vu le visage baigné de larmes de maman, deux jours auparavant.
Je voulais fuir cette réalité désastreuse dans laquelle il n'était plus là, parce que ça ne pouvait pas être réel. Il ne pouvait pas partir maintenant. Je voulais attendre, résister, défier Morphée et ne pas céder au sommeil. Seulement, je ne savais pas comment m'y prendre.
Alors j'avais enfilé ma robe de cérémonie pour convaincre mon cerveau de rester éveillée, et pour contrecarrer son plan machiavélique de vouloir me faire oublier pendant quelques heures son absence. Je n'aimais pas oublier, je détestais ça...
Mes paupières étaient de plus en plus alourdies par la fatigue, et celle-ci tentait difficilement de me faire allonger sur la canapé moelleux, mais il fallait que je pense à lui le plus possible afin qu'il revienne. J'avais besoin de le revoir une dernière fois. Et pour cela je ne devais pas oublier son visage, ses mimiques, son sourire, ses paroles. Je devais me le remémorer dans les moindres détails.
Donc j'ai fermé les yeux et me suis mise à compter cent quatre-vingts secondes. Quand je rouvris les yeux, papa se matérialisait devant moi, un peu comme un mirage fragile, une image vacillante. Morphée m'avait peut-être vaincue ? Mais une torpeur terriblement lourde m'assaillait de plus en plus, et finalement, le sommeil m'emporta avant que je ne puisse lui renvoyer son sourire discret.
Il me sembla même me réveiller quelques heures plus tard, dans mon lit, toujours vêtue de ma robe de cérémonie, et les doigts engourdis comme s'ils avaient tenus quelque chose trop longtemps. Et tout était lointain, comme les réminiscences d'un rêve absent.
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L'arrêt Des Mondes
ParanormalPendant quinze minutes, le monde s'est arrêté. Ensuite, il y a eu une perturbation. Et si ce monde ne résultait en fait que d'une pensée, modifiée par l'inconstance d'un souvenir ?