L'Entre : Perturbation

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- C'est toi la poule mouillée, déclarai-je en le pointant du doigt.

Une fois lancée dans ma course, j'ai pu le rattraper en quelques millièmes de secondes. J'ai donc eu la faveur et la satisfaction de voir sa bouille essoufflée et vexée se traîner sur les derniers mètres avant la bouche du métro.

- Oui mais bon, t'as des jambes plus longues aussi.

- Il te faudrait de plus grandes oreilles alors, plaisantai-je en dévalant les escaliers, mon pass en main.

Les bornes passées, mon regard s'attarda sur une affiche publicitaire promettant des vacances de rêves dans un paysage paradisiaque, perdu aux confins de la Nouvelle-Zélande. Cette affiche me démoralisa immédiatement. J'ignorais dans combien de temps nous serions en vacances, mais la simple perspective de leur si courte durée - comparé à une année entière de cours longs et monotones - me frustra. Je grognai et me détournai du panneau pour observer mon frère, bloqué de l'autre côté des bornes :

- Ewen..., commença-t-il avec un brin de culpabilité dans la voix. J'arrive pas à passer.

- Hein comment ça ? Bougonnai-je.

Il agitait dans tous les sens son ticket entre ses doigts, la mine confuse, puis finit par lâcher un "oups" en lisant le carton.

- Allez, crache le morceau, m'impatientai-je. Qu'est-ce qu'il y a ?

Son silence en disait long, beaucoup trop long. Il releva lentement la tête vers moi, comme par prudence, et les yeux tout penaud. Deux clignements de yeux exagérés me firent comprendre que la petite flèche de ce matin n'avait pas bien vérifié ses tickets. Je ne savais trop comment, il avait pris les tickets démagnétisés, ceux qu'il laissait toujours traîner quand on lui répétait de les jeter au lieu de les garder comme trophée sur le meuble du salon. Dans un geste de désespoir, je me frottais l'arrête du nez :

- T'es qu'une andouille Nathan, passe en dessous, ordonnai-je d'un ton pressé.

- Maman dit que...

- Les contrôleurs ne passent jamais, qu'on se prenne une amende ou un mot de retard, c'est pareil ! Bouge toi !

Il me dévisagea et finit par se faufiler en dessous, puis par-dessus, telle une souris. Je lui retirai ses deux tickets de malheur et me dirigeai vers les seconds escaliers. Heureusement, les couloirs étaient vides.

- Hey Effi, ce soir tu pourras m'expliquer un truc ? J'comprends rien aux problèmes de mathématiques.

Je pilai dans les escaliers et le regardai dans le blanc des yeux :

- Tu m'as appelé comment, là ? Articulai-je en me retenant de ne pas l'accrocher au plafond par les oreilles.

- Effi, pourquoi ? T'aimes pas ce surnom ? Si tu veux je peux t'en trouver un autre !

- Retire ce satané surnom de ta bouche, Nat. On dirait le nom d'une souris et en plus, tu sais que je déteste quand tu l'utilises.

Sa position stoïque et ses yeux ronds m'énervèrent de plus belle et je remontai les escaliers quatre à quatre en l'agrippant au poignet pour le forcer à descendre plus vite. Je plantai mes ongles dans son gilet et le fis passer devant moi. Ses questions, il pouvait - pour une fois - se les garder pour plus tard. J'accélérai l'allure en m'apercevant de l'arrivée du métro dans le cadre arrondi du couloir. In extremis, nous entrâmes. La première chose dont je me suis aperçue fut l'absence de siège pour s'asseoir, la seconde : tous les passagers demeuraient assis et impassibles. Un malaise s'installa en moi.

- Finalement, marmonnai-je, on aurait pu prendre le prochain.

Quelque chose me tira de manière trop abusive la manche de ma veste. Je retirai mon bras, puis les croisai :

L'arrêt Des MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant