L'Entre : Une dame aigrie

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Jetant un rapide coup d'œil à l'heure, je m'aperçus que l'audace de mon frère n'était peut-être pas aussi audacieuse. Nous n'étions clairement pas dans les temps, et les portes de nos écoles allaient probablement être closes à notre arrivée. Quand bien même je me réservai dix minutes pour trainer les pieds et sortir définitivement de mon lit.

Enfin extirpée de celui-ci, j'enfilai un jean noir, un tee-shirt un peu grand pour moi, me peignai vite les cheveux et filai dans la cuisine. Arrivée devant celle-ci, je manquai de déraper sur la parquet fraichement lavé et de percuter violemment ma mère. Elle se décala juste à temps en me laissant sans frein. Je me cognai méchamment l'orteil contre l'encadrement de la porte. La frustration de la douleur me fit mordre ma lèvre, et je hurlai un bonjour trop enjoué. Elle fit la moue et soupira, déjà lassée par mon attitude :

- Doucement, doucement... Ton frère ne t'a pas loupé à ce que je vois, j'ai entendu le vacarme qu'il faisait !

- T'as pas idée..., grognai-je. Attends, pourquoi tu ne lui as rien dit ? Et là, quelle heure est-il ?

- Parce qu'il avait tout à fait raison : vous allez être en retard .

- AH ! Je te l'avais dit qu'on allait être en retard !

Je me retournai et, qui vis-je planté là, droit comme un piquet et les mains sur les hanches ? Le même petit galopin de tout à l'heure. Sauf qu'il était habillé, et prêt à partir. Tandis que je n'avais même pas encore déjeuné. Je m'apprêtais à porter une remarque cinglante emplie de cynisme sur la couleur de son pantalon pour faire disparaître son sourire narquois, lorsqu'un doigt se posa sur ma bouche :

- Chérie, tu la fermes et tu te dépêches. Tu auras tout ton temps pour râler, mais après !

Je sifflai entre mes dents un OK frustré. Je m'en avouai certes vaincu sur ce point, mais je ne pouvais pas le laisser s'en aller sans au moins une directive :

- Toi là, ordonnai-je l'index pointé sur mon frère. Prends un gilet et attends moi devant la porte. Et prends tes tickets.

- Ouiii, ils sont déjà dans mon sac.

À peine avait-il fini sa phrase qu'il pivota, prit son cartable, et partit en claquant la porte derrière lui. Il me fallut une bonne dizaine de secondes avant de réaliser son délit : il s'était enfui sans moi, me collant une nouvelle bonne raison de me presser.

- La porte, vaurien ! Clamai-je les poings serrés.

Je passai prendre une brioche dans la cuisine puis attrapai ma veste au passage en enfilant fissa mes chaussures. Pour gagner du temps, et comme je m'emmêlai les doigts dans mes lacets capricieux, je bougonnai une brève salutation à ma mère en relevant les yeux tout en mastiquant à moitié mon pain. Elle me répondit sa phrase fétiche, qui se composait exactement de quinze mots : "fais attention à toi et à ton frère, et essaie de ne pas rater l'arrêt", et à laquelle j'adressai un hochement de tête entendu. Même si en réalité, je n'avais jamais loupé aucun arrêt de ma vie. Ce genre de bourde, c'était plutôt Nathan qui arrivait à les accumuler.

Après m'être servi un verre de jus dans la cuisine, je me dirigeai au trot jusqu'à la porte d'entrée. Une fois dehors, je commençai à chercher des yeux le petit bout de chair qui me servait de frère pour finalement l'apercevoir assis sur le banc de l'arrêt de bus. En plus de s'être barré sans prévenir, il avait traversé la route tout seul. Sous ma responsabilité, où je devais faire attention à sa sécurité. Je regardai à ma droite, à ma gauche, puis le rejoignis d'un pas ferme.

- Nathan Callaghan Rosalie Walker seizième du nom ! Tu aurais pu m'attendre !

Une vieille dame de la soixantaine me jeta un regard noir que je ne manquais pas de noter. Sûrement car je parlais un peu fort, mais une bonne partie de ma conscience s'en fichait éperdument. Si elle n'avait rien d'autre à faire que de juger l'éloquence de la jeunesse, alors elle n'avait qu'à aller en maison de retraite, ou mieux encore : écrire son testament en japonais.

- Le bus arrive.

Du coin de l'œil, j'aperçus ledit bus.

- Mais il a l'air plein à craquer..., reprit-il en faisant la moue à la façon de notre mère.

Je soupirai et levai la tête vers l'écran d'affichage afin de prendre connaissance de l'heure, puis calculai le temps qu'il nous restait avant d'être beaucoup trop en retard.

- On peut prendre le métro, suggérai-je. Il suffit simplement de se dépêcher un peu et on arrivera dans les temps... Si l'attente n'est pas trop longue.

Un joyeux feu d'artifice explosa dans ses prunelles vertes. Visiblement, il était content. Et lorsque Nathan était content, il n'écoutait plus rien, ni personne.

- On court jusqu'au métro ! lança-t-il dans un élan d'excitation parfaitement incontrôlé.

- Non, déclarai-je posément, tu vas perdre.

- Le dernier arrivé, c'est une poule mouillée !

L'arrêt Des MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant