L'Entre : Jamais le même

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Une voix fluette et lointaine résonnait à mes oreilles, mais un bourdonnement sourd m'empêchait d'en être sûre.

- Ewen, eh oh... réveille toi !

J'avais l'impression forte désagréable d'être paralysée par des sangles qui me serraient au point de me couper la circulation du sang; ma gorge était en proie à un feu glacial qui figeait mes cordes vocales, et je ne sentais même plus mes poumons se soulever au rythme de ma respiration - si tant est que je respirais, et j'avais terriblement froid.

Alors non, au fond, je n'avais pas très envie de me réveiller.

- Le train s'est remis à rouler. Le train s'est remis à rouler ! Tu m'écoutes ou pas ! Eh oh ! Tu peux montrer un signe de vie ?

Mes sangles imaginaires se desserrèrent d'un coup et je retrouvai brusquement mes facultés, dont ma voix. J'ouvris grand les yeux et criai son prénom. Il me semblait avoir hurlé un peu fort car il plaqua sa main sur son oreille. Je me redressai en l'assommant au passage et le serrai contre moi - sûrement un peu trop fort aussi. Je ne savais pas vraiment pourquoi je faisais cela, mais je le faisais quand même. Quand son contact contre moi m'apaisa enfin, je décidai de relâcher légèrement mon emprise. Ce simple geste me donna une impression de déjà-vu.

- Je t'ai demandé de me montrer un signe de vie, pas de me montrer que tu sais étrangler quelqu'un..

Je le lâchais et, du coin de l'œil, regardais autour de moi : nous étions toujours dans le train. Je reportai mon attention sur lui :

- Tu n'as rien ?

- Bah non, pourquoi ?

- Parce que...

Parce que quoi ? Inconsciemment, je savais qu'il y avait une raison bien précise à ma question, mais je l'avais oubliée. Tout devint flou dans ma mémoire, mes émotions s'agitaient, mon cœur s'emballait et je commençais vite à perdre pied dans mes pensées qui avaient été rendues troubles par ce mot : oublié. Non ! Comment avais-je pu l'avoir oublié ?

Je me tournai brusquement vers lui, la gorge nouée :

- Qu'est ce qu'il s'est passé ?

- Tu...

- Non non non, en fait, ne dis rien ! Je vais m'en souvenir, c'est pas si loin, je...

Et les mots moururent sur mes lèvres. Je fermais les yeux, une tension montant déjà en moi.

Depuis mes neuf ans, oublier m'angoissait. Cette anomalie d'esprit, je n'avais jamais réellement su la définir. Mais quand j'oubliais quelque chose tout en ayant conscience de cet oubli - j'avais la sensation que le monde s'effondrait autour de moi. Et pendant cet instant, mon cœur courait le marathon du siècle et mes émotions devenaient incoercibles.

Ma conscience devenait tellement préoccupée par cet élément manquant que je ne pouvais plus rien faire d'autre, et tout en moi se mettait à fonctionner à moitié : je ne réfléchissais qu'à moitié, ne me concentrais qu'à moitié, ne parlais qu'à moitié, parfois même ne respirais qu'à moitié. Car l'autre partie de mon organisme s'acharne et s'obstine à se souvenir.

Bien sûr - lorsque les crises ne contrôlaient plus mon humeur et que ces phases d'angoisses me passaient - je trouvais toujours mes propres réactions complètement stupides. Et pourtant, malgré les sermons que je m'infligeais, je ne pouvais jamais rien y faire.

Allez, reprends-toi...

Je baissais la tête, plaquais mes mains contre mes yeux en prenant quelques inspirations et tentais de me convaincre que tout allait bien - qu'il fallait simplement relativiser. Mais ce jour-là, je savais que ma technique de relâchement n'allait pas fonctionner comme d'habitude - car nous étions dans des circonstances toutes autres.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 08 ⏰

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