Le cycle d'Hélios : I. Routine Epsilon [Autoédité]

23 - Lourdes accusations

La première apparition des textes sacrés aarguiens, Anamnèse et Allégories des Régisseurs Galactiques, remonte à mille ans avant le départ d'Hélios, en plein régime néo-laïque. Cet essai scientifique, publié le 1er novembre 3032 CG dans la revue coloniale Moon Voices par l'astrophysicien Kripanidhi Raina, provoqua l'émoi de toute la communauté. Ce scientifique respecté, membre actif du programme PRSH — Planification de la Route Spatiale d'Hélios —, présentait une vision nouvelle de l'univers basé sur l'existence d'entités supérieures ayant joué un rôle primordial dans l'histoire cosmologique. De tels propos n'avaient pourtant pas leur place dans une station où toute allusion religieuse était malvenue, voire prohibée. Il se refusait toutefois d'employer le terme de dieux ou de toute autre référence cultuelle, car les entités qu'il décrivait dans son essai appartenaient exactement au même monde physique que le nôtre.

Extrait de « La genèse du culte d'Aarg » par Naash Taël, 802 H.

Tapis sous des feuilles de papayer rassemblées à la hâte, Jonathan Palmer se préparait à accueillir les hors-la-loi responsables de la mort de son collègue. Ayant épuisé toutes ses cellules énergétiques lors de l'assaut, il avait remisé son désintégrateur plasmique et attrapé le bâton sonique qu'il portait à sa ceinture ; une arme tout aussi redoutable au corps à corps. Il pouvait sentir le manche vibrer au creux de son gant électromagnétique, comme un chien enragé prêt à être libéré de ses chaînes pour sauter sur sa victime.

La traînée de sang l'avait mené vers un tas de gravats duquel dépassait une jambe inanimée. Des débris végétaux recouvraient le reste du corps. White entama le déblaiement.

Entraîné par la propulsion du gaz à haute pression, le bâton faucha les deux jambes du protecteur de toute sa vélocité. Killian se rattrapa de justesse en s'évitant une fracture du nez, malvenue dans une lutte où chaque seconde allait avoir son importance. Il bondit sur ses pieds, se soustrayant avec aisance d'une frappe à la tête, puis se prépara à riposter. L'arme sonique percuta brutalement le sol en un nuage de débris tranchants, forçant Killian à se protéger le visage du revers de la main. L'autre en profita pour le charger. Plutôt que de tenter un coup direct, que son adversaire aurait pu de nouveau esquiver, il se servit de son bâton comme d'un propulseur en fouettant les airs de toutes ses forces. Killian en eut le souffle coupé. Son pistolet à plasma tomba à ses pieds. Le bâton se mit à siffler dans son dos, tel un taureau expulsant l'air de ses narines face à son matador. Il intercepta le bras de Palmer pour amortir le gros du choc. Une douleur vive irradia tout son flanc gauche, sans pour autant que cela lui fasse desserrer sa prise. Le visage ensanglanté de son vis-à-vis frôlait le sien. Ce n'était pas de la folie que l'on pouvait lire dans ses yeux, mais plutôt un étrange mélange de haine et de mépris. Le protecteur profita du statu quo pour tenter de le raisonner.

— Bon sang, mais que vous arrive-t-il, cessez donc cette folie !

— Volstein. Il est mort à cause de vous, répondit Palmer, les dents serrées.

— Je n'étais même pas là, je suis venu vous porter secours en voyant l'effondrement de la serre, argua le protecteur.

— C'était votre complice, vous nous avez tendu un piège. La grande kazhar nous avait mis en garde contre les païens. J'ai été trop naïf, j'aurais dû écouter Volstein !

— Madame de Mars ? s'étonna Killian. Il doit s'agir d'un malentendu. Qui est votre supérieur direct ?

— C'est elle qui me dicte mes ordres. La grande kazhar m'a fait l'honneur de servir le Nouveau Protectorat. Ce n'est visiblement pas votre cas, sous-entendit Volstein en esquissant un rictus narquois.

Ce faux serviteur de l'Ordre prêtait des paroles ubuesques à la deuxième femme la plus puissante d'Hélios. Killian y vit une tentative de déstabilisation. Il accentua la pression. Le zélote tenta de se dégager, sans succès.