2. Au boulot

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                                                                                              Trois mois plus tard, Paris, Xème arrondissement

- Tu travailles ce soir ? s'étonne ma coloc, me voyant me préparer un café.

- Oui, j'ai pris un service en plus et je fais la fermeture.

- Tu me préviens si tu rentres plus tôt que prévu, ajoute-t-elle.

- Oui, dis-je amusée. Je sonnerai même à la porte avant d'entrer si tu veux.

- Bonne idée, répond Kaki très sérieusement.

Je connais Kaki depuis deux mois, et je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi bien dans sa peau, d'aussi libérée. Elle est ouverte d'esprit, tranquille, cool. Elle porte des tenues moulantes à la Catwoman, des tatouages sur les bras, dans le cou. Kaki est tatoueuse comme son mec d'ailleurs, mais depuis que je l'ai entendue en pleine action, j'ai une toute autre vision d'elle. 

On peut être bien dans son corps et pudique, libérée et discrète. En tout cas ma coloc est devenue parano.  Elle ne fait plus venir Ignacio, son copain quand je suis là.

Je ne sais pas ce qu'Ignacio lui faisait, mais je n'ai jamais eu la chance de grimper au rideau comme elle. Elle poussait des gémissements impressionnants. 

Kaki s'empresse d'appeler son mec. Elle me fait rire. Je n'oublierai jamais la tête qu'elle a faite  quand je l'ai croisée dans la cuisine à poils en train de préparer un petit encas post coïtal. Dès qu'elle m'a vue, elle a sursauté. On aurait dit qu'elle avait vu un fantôme. C'était hilarant. Je n'ai pas pu me retenir de rire.

- Jac, t'es rentrée depuis quand ?! a-t-elle demandé en courant récupérer un plaid sur le canapé pour se couvrir.

Kaki est très belle et voluptueuse, c'est ce qui la rend si féminine, je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit si pudique, et l'idée que j'aie pu l'entendre prendre son pied l'a catastrophée. Elle était toute rouge.

J'ai découvert l'immense tatouage qui couvre son dos cette nuit-là. Un arbre où se cachent des créatures extraordinaires, mais attaqué par une plante invasive qui grimpe jusque sur sa nuque et son épaule gauche, comme prête à tout recouvrir.

Kaki m'a expliqué plus tard que c'était sa façon de voir la vie. Mais à ce moment-là, je ne me suis pas éternisée. Je suis vite partie dans ma chambre en disant 

- Tu m'avais caché qu'Ignacio était un si bon coup.

Kaki m'a balancé une tranche de fromage. Le pire c'est qu'elle m'a eu.

- Pas touche ! a-t-elle crié. Pour une fois que j'en trouve un pas con et qui sait ce qu'il fait au lit.

Kaki est vraiment cool. J'aime bien vivre chez elle. Elle dit ce qu'elle pense, sans apriori ni jugement. Elle n'est ni intrusive, ni trop curieuse. Le jour où j'ai visité la chambre, elle ne m'a posée que quelques questions et c'était plié :

- Tu viens de Pologne, c'est ça ?

J'ai accent, assez discret, mais qui s'entend.

- Oui. Je suis venue pour les études. Je fais du droit, mais en ce moment je fais une pause.

- T'as un mec ?

- Non

- T'es bordélique ou une maniaque de la propreté ?

- Je range derrière moi, mais je ne panique pas dès que je vois un truc traîner. Je dirai que je suis dans la moyenne.

- OK, bienvenue chez toi, Jac. On trinque ?

C'était rapide. Elle s'était déjà faite une idée sur moi le jour on s'était vue au bar où je travaille. Kaki est pote avec une de mes collègues. C'est comme ça que j'ai entendu parler de sa chambre à louer. 

Après des débuts difficiles dans cette ville, ma première logeuse m'a virée parce qu'elle ne supportait pas de m'entendre rentrer tard la nuit. J'ai dû aussi quitter le bar dans lequel je travaillais au début car le patron ne voulait plus me déclarer. 

Mais depuis Paris s'est bien rattrapée.

Je vis chez Kaki et j'ai été embauchée au Kong, même si c'est pour mon physique, je ne regrette pas d'avoir accepté ce job. Il paye bien. T'as un physique de mannequin, a commenté le responsable du restaurant en me regardant, mon CV en main. Je suis fine et je fais une tête de plus que toutes mes potes, c'est pour ça. 

Je n'ai rien d'un mannequin, mais je dois reconnaître que je me sens mieux dans ma peau depuis que je suis à Paris. Je n'évite plus de croiser les regards. Il s'est passé quelque chose en moi. Je souris plus, je ris, je me pose moins de question avant de faire des choses.

Je me sens libre dans cette ville, même si  j'ai parfois encore l'impression d'être suivie. Je suis fière de celle que je deviens. Plus indépendante, plus fonceuse, plus spontanée.

Je suis loin d'être une vraie Parisienne, mais tout ce que je fais me réjouit : boire un café en terrasse, me promener sur les quais de Seine, circuler en vélo.

Je demande à Kaki qui vient de raccrocher, car elle adore l'électro :

- Il y a Rhapsody ce soir. Tu viens ? 

Le vendredis et samedis, le bar du Kong se transforme en club. J'oubliais de préciser que le restaurant-bar où je travaille est un spot branché de la capitale. Sa vue panoramique sur la Seine, les toits de Paris et ses monuments attirent les noctambules et les touristes qui ont les moyens. Son emplacement aux derniers étages d'un immeuble haussmannien en plein cœur de la ville, la verrière et la décoration signée Starck sont d'autres bons arguments pour y faire un tour.

Kaki est une habituée. 

- Ouais, je vois ça avec Ignacio quand il sera là.

Je reçois un message de Louise. Elle sort ce soir. Trop cool, un peu que je veux venir, j'adore danser. On va s'éclater. Louise est ma meilleure rencontre à Paris. Je l'aime encore plus que Kaki.

- Je sors finalement après mon service, dis-je trop contente.

- Ah ! Bien ! se réjouit ma coloc.

- Quoi ? Tu vas faire du tapage nocturne, c'est ça ?

- Jac trouve toi un mec. Ma vie sexuelle commence sérieux à trop te travailler.

Je souris, elle m'a bien eue. Mais un mec plus jamais.

- Je t'envie de sortir toute la nuit, poursuit Kaki. Faut profiter à ton âge.

J'ai vingt-deux ans. Kaki en a trente.

- T'exagères, tu sors tout le temps.

- Ouais, mais tu verras quand t'auras mon âge, t'auras besoin de dormir.

C'est vrai que je suis de service demain, mais ce n'est pas ça qui va m'arrêter.

- Bon, j'y vais, dis-je en prenant mon sac. A tout à l'heure peut-être.

- Ouais, je te dirai. Mais n'oublie pas de me dire où tu vas après.

Kaki se comporte comme une grande sœur avec moi et ça me touche.

- Oui, maman, dis-je en lui faisant un gros bisou.

On a tous droit à une seconde chance ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant