Interlude

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C'était il y a quatre ans. J'avais 21 ans, elle 18. J'étais en plein dans mes études à Polytechnique. Je croulais sous le travail et la pression qui en résultait. C'était le soir d'Halloween. J'avais décidé de faire une exception et de sortir. La fête des Morts. J'aurais dû me douter que ce jour allait me transformer à mon tour en une âme errante.

J'ai rejoint des amis à Paris. Le but était de se mettre une caisse et de profiter de notre soirée. Après plusieurs bars, on s'est arrêté au Sullivan du Moulin Rouge. On entendait la musique depuis l'extérieur :

"Come here and visit my world !".

La boite était pleine. Les gens dansaient, sautaient, criaient. Tous étaient déguisés en de multiples monstres plus ou moins effrayants.

Et soudain, dans la foule battante, j'ai croisé son regard qui me transperça et m'effleura à la fois. Il n'y avait pas d'orage ce soir-là, pourtant la foudre est tombée, balayant avec elle tous mes préconçus et ce en quoi je croyais. Mes poils se dressèrent. Ma respiration se coupa et mon ouïe cessa de percevoir les bruits environnants. Tous mes sens étaient concentrés sur elle.

Connectés.

Bien qu'à quelques pas l'un de l'autre, j'avais l'impression que tout mon être s'était distendu et se perdait dans ses yeux. Ses yeux ravivés des images dans mon esprit, des flashs que je ne contrôlais pas. Des moments de vie multiples qui paraissaient appartenir à quelqu'un d'autre, à une autre époque. Pourtant, je connaissais la saveur de chaque instant. Je les avais juste oubliés.

Comme des aimants, nous nous étions simultanément approchés. Quelquefois, les gens nous bousculaient. Qu'importe. Je venais de rencontrer mon équilibre.

— Comment tu t'appelles ? avait-elle demandé.

— Nath', bégayai-je, en observant son corps moulé dans une robe rouge.

Un maquillage de chat était esquissé sur son visage. C'est ainsi que par la suite, je n'ai cessé de l'appeler "Du chat".

— Nath' ? Nathan ? lança-t-elle en se balançant au gré de la musique tout en entortillant ses longs cheveux bruns.

Les effluves de son parfum remontaient jusqu'à moi pour m'enivrer un peu plus. Ce foutu parfum d'orange et de vanille. Je ne l'oublierais jamais.

Jamais.

— Non, ricanai-je bêtement. Nathaniel.

— Ah ! Ce n'est pas commun, souriait-elle en plongeant à nouveau ses yeux noisette dans les miens.

Je flanchais un peu plus, désorienté par son sourire dont la courbe était aussi enjouée que ses formes. Ce qu'il fallait là où il fallait.

— Ça va te paraître cliché, mais j'ai vraiment l'impression de te connaître, de t'avoir déjà vue, avouai-je.

— Peut-être qu'on s'est rencontrés dans d'autres vies, articula-t-elle en s'approchant encore de moi.

La chaleur de son souffle sur ma joue m'ôta la parole. Chacune de mes cellules était en ébullition.

— Tu fumes ? Tu veux venir discuter dehors ? prononçai-je enfin.

— Si tu m'offres une cigarette avec plaisir, répondit-elle.

Nous passâmes tout le reste de la nuit à parler sur le bord d'un trottoir devant la boite de nuit où les gens allaient et venaient. On ne voyait personne.

Il n'y avait que nous.

Avec spontanéité, Elana s'était empressée de me raconter sa vie. À force de l'écouter, je n'avais pas l'impression de la rencontrer, mais plutôt de la retrouver. De sa voix fluette, elle m'expliquait qu'elle finissait le lycée et qu'elle voulait poursuivre un cursus de musique.

Elle voulait devenir une artiste.

Ensuite, nous sommes retournés danser et elle m'embrassa. Fusion. Ce baiser nous souda à tout jamais. On s'est mis ensemble ce jour-là. Le jour où l'on s'est rencontré.

Et c'est ainsi qu'Elana Brahi rentra dans ma vie. Elle enchanta mon existence, comme elle l'empoissonna sans le vouloir. Car malgré la passion et une connexion évidente, nous allions nous détruire. J'allais la détruire. 

Essence Indigo  - Sarah JOAN ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant