Chapitre I : L'envol

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« Les passagers à destination du vol 3777- Delhi sont priés de se présenter, porte 12. »

L'annonce, suave et contrôlée, continue en anglais puis en espagnol.

Assis dans un espace d'attente sans âme, je secoue la tête pendant que plusieurs personnes se lèvent dans un brouhaha. Mes yeux sont humides et une larme coule sur ma joue. Je l'essuie d'un revers de main avant de me redresser pour suivre la foule.

En passant devant les grandes baies vitrées de l'aéroport, j'aperçois mon reflet contrastant avec la nuit noire. Un grand gaillard à la peau mate et aux yeux sombres me fait face. Il semble confiant, sûr de lui, mais on sait tous les deux qu'il n'en est rien...

Dehors, certains avions attendent patiemment leurs voyageurs. La vision de leurs énormes pâles et turbines me donne soudain la nausée. Je déglutis et me presse en direction de cette fameuse porte 12, prêt à enfin me libérer des chaînes qui me retiennent en France. Mes pas martèlent le sol, tels des roulements de tambour.

Autour du bureau d'embarquement, des passagers s'agglutinent en brandissant leur passeport. Les hôtesses les accueillent, avec calme, en répétant inlassablement : « Welcome, bienvenue à bord ! »

Survêtement et sac à dos, j'ai l'air décontracté. Pourtant, intérieurement, il n'en est rien. Je suis impatient, stressé et fatigué. Quand j'aborde l'une des hôtesses, celle-ci examine mon précieux passe-droit en me dévisageant.

Passeport ? Nathaniel Lacruse. Âge ? 25 ans. Nationalité ? Française, d'origine hispano-marocaine. Même si cela n'est pas précisé, je trouve important de faire valoir ses origines. On porte en nous un tout autre voyage, celui de nos ancêtres.

Une fois à l'intérieur de l'appareil, je souffle. Chaque passager avance lentement dans l'étroit couloir, s'appropriant en un quart de seconde le compartiment réservé aux bagages à main. Puis ils se laissent choir sur leur siège, comme s'ils désiraient marquer leur territoire. Certains me scrutent du coin de l'œil d'un air dubitatif. Que se disent-ils ?

Peut-être est-ce ma couleur de peau ? Trop foncée à leur goût, trop basanée ? Peu importe... J'essaie de ne pas m'en préoccuper et continue de chercher ma place en regardant frénétiquement de gauche à droite.

J'avance, les mains moites agrippées à mon téléphone qui affiche mon billet et ses précieuses informations. Celles qui inscrivent noir sur blanc ma rédemption. 12C ! C'est ici !

Ici que tout s'arrête et où tout commence... Je m'en vais à l'autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, pour une durée indéterminée. J'ai envie de vivre une autre existence que la mienne, découvrir un nouveau pays, rencontrer de nouvelles personnes, voir d'autres paysages et apprendre. Apprendre une autre culture, une autre langue... Juste être surpris, être ébloui par la vie pour sortir de la nuit.

Il y a moins d'un an, je me suis fait exclure de l'un des cursus les plus prestigieux. Polytechnique. J'ai tout donné pour poursuivre les travaux de mon père, ingénieur en neurosciences, décédé quelques années plus tôt. Après un Bac S et une prépa, j'ai été sélectionné. Ma mère, qui s'était sacrifiée pour m'offrir l'une des meilleures éducations, ne pouvait pas être plus fière. L'admiration qui brillait dans ses yeux était à l'image du chemin qui m'attendait.

Faire partie de l'élite.

Lors de ma troisième année, j'ai intégré le laboratoire NIOTF ( Native Intelligence of the Future ). Durant deux ans, j'ai été stagiaire puis assistant de l'un des chercheurs les plus reconnus pour ses travaux sur la conscience, l'intelligence artificielle ainsi que la préservation de la race humaine.

Essence Indigo  - Sarah JOAN ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant