Chapitre IV : Carrefour du temps

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« Chaque voyage est le rêve d'une nouvelle naissance. » - J.Royer

Hé Nath, réveille-toi !

Une main légère caresse mes cheveux. Sa peau nue, encore humide, est collée à la mienne.

— Ça va ? insiste la jeune fille avec qui j'ai passé la nuit.

J'ai le corps tout endolori. Dormir à deux dans un lit une place n'est pas une mince affaire...

Voilà presque deux semaines que je suis ici. Avec Louis, on a continué de visiter Auckland et les alentours avec la même énergie et frénésie que le premier jour.

Notre chambre est désormais occupée par quatre autres gaillards bien décidés, eux aussi, à profiter de leur séjour. Nous sortons souvent avec eux et de nombreuses soirées sont organisées à l'auberge. C'est justement à l'une de ces fêtes que j'ai pu faire la connaissance de la fille croisée près de l'ascenseur.

Je ne sais pas grand-chose sur elle, seulement qu'elle s'appelle Sophie, qu'elle a 22 ans et qu'elle est ici depuis un mois. C'est suffisant. J'ai voulu la connaître plus simplement. Je ne fais plus dans le romantisme. J'ai besoin de plaire, mais je ne m'engage pas, à quoi bon ?

Tu as crié cette nuit, s'inquiète Sophie tout en caressant mes cheveux.

C'est plutôt toi qui as crié, hein ! Je n'ai pas dormi de la nuit, crache Louis d'une voix rauque depuis le lit du dessus.

Je ne peux m'empêcher de rire de bon cœur et de donner un coup de pied dans son matelas pour le faire taire.

Désolé, s'excuse-t-il, taquin. Ça vous dit de bouger aujourd'hui ? Maintenant que j'ai ma voiture, on pourrait aller à Piah Beach ?

Motivé ! Tu viens avec nous ? intimé-je à Sophie en la pinçant à la taille.

Cette dernière se cambre et glousse avant de se redresser.

Avec plaisir, je pars me préparer et chercher Laura.

Mais elle ne parle même pas Français ta copine ! raille Louis.

C'est bien, ça vous fera pratiquer, répond Sophie d'un air malicieux avant de claquer la porte.

C'est ça oui..., maugré Louis en se vautrant lourdement.

La structure entière de nos lits superposés grince et vibre sous son poids.

Piah, c'est ça ? demandé-je en m'étirant.

Exactement ! Tu ne m'avais juste pas dit que je devrais faire office de chandelier.

T'inquiètes pas, ce sera tout sauf ça, ricané-je en m'emparant d'un tee-shirt.

Tu es quand même un chanceux toi, hein ? Ça fait deux semaines qu'on est là et tu as déjà une copine, franchement respect...

Ce n'est pas ma copine !

Alors c'est quoi ? Une bonne amie ? Ça fait deux jours que tu es collé à elle ! taquine-il avant de partir à la douche.

Rien, j'aime bien partager des moments avec elle mais c'est tout, marmonné-je en finissant de m'habiller.

Ah bah oui, j'ai cru comprendre oui ! beugle-t-il en mimant des gestes obscènes.

***

Je trouve que la lumière en Nouvelle-Zélande est assez particulière, puis l'air semble plus pur et moins pollué qu'en France... déclare Sophie en anglais pour lancer un sujet de conversation et y inclure son amie.

Nous roulons depuis une demi-heure en essayant péniblement de quitter le centre-ville d'Auckland et ses embouteillages.

Sophie est assise à l'arrière avec son binôme de voyage, Laura, d'origine ukrainienne. Cette dernière parle évidemment bien mieux anglais que Louis et moi réunis qui tentons, chaque jour, d'aligner un mot supplémentaire.

Louis, au volant de sa toute nouvelle acquisition, est plus concentré sur la route que sur la conversation. Il me jette un regard furtif qui signifie : « Je conduis, parle ! ».

Ne sachant que répondre, sans originalité et de mon plus bel accent, je prononce :

Yes I think so.

Sophie saisit que la conversation en anglais va être compliquée et se met à discuter uniquement avec son amie. J'écoute d'une oreille, envieux de son niveau de langue.

Ça me fait trop bizarre de rouler à gauche, lâche Louis. Tu me dis si je dépasse ou si j'ai tendance à aller sur la droite, hein ?

T'inquiète, ça va tu roules bien. C'est quoi comme voiture ?

Honda 2000, elle a pas mal de kilomètres mais le mec qui me l'a vendue a fait une révision complète !

Tu as de la place à l'arrière en tout cas, dis-je en désignant les deux rangées de fauteuils et l'immense coffre.

C'est pour ça que je l'ai prise, je vais me donner une petite dizaine de jours, le temps d'installer une planche, des rideaux, un matelas et d'acheter de la nourriture...

Tu comptes partir ? demandé-je, attristé qu'il puisse déjà s'en aller.

Je me suis attaché à lui mine de rien. De prime abord, ce n'est pas le genre de personne que j'aurais fréquenté en France, mais le voyage nous apprend à revoir nos jugements.

Oui j'aimerais bien faire un road trip dans le Northland et après aller travailler dans les récoltes de kiwis, vers Opotiki, explique-t-il. Je pense dormir dans ma voiture, c'est pour ça que je la « pimp » un peu. C'est le bon plan, pas de loyer à payer, tu vas où tu veux quand tu veux... Le pied quoi !

Après une heure de route, nous arrivons enfin à Piah Beach. Les rochers et les falaises s'étirent, entourés de vagues qui déferlent leur écume immaculée tranchant avec un sable noir-ébène. Non loin de là, se détache une forêt à la flore tropicale dissimulant de multiples cascades toutes plus belles les unes que les autres... Une véritable jungle digne d'un autre monde !

Je m'éloigne pour prendre quelques photos et marcher de mon côté. Mon regard glisse au loin et s'arrête sur un couple en train de prendre un selfie. Au vu de leur allure, ils sont eux aussi en voyage. Ils semblent heureux.

Je me surprends à les envier et à imaginer, de manière nostalgique, si j'avais fait ce voyage en couple moi aussi, avec une certaine personne... Je l'imagine, courant pieds nus dans le sable, prenant ma main pour m'entraîner dans sa course puis rire, et m'embrasser... Elle m'aurait tendu son iPhone pour que je la prenne en photo et se serait sûrement mise à râler à cause du vent ébouriffant ses cheveux.

Mon esprit torturé me renvoie continuellement à ce passé. Un port au milieu d'une mer déchaînée, dans lequel je n'ai de cesse de revenir, de m'accrocher pour jouer d'autres scénarios, d'autres possibilités que cette éventualité là. Cette réalité que je n'ose m'avouer. Celle où je l'ai abandonnée. 

Essence Indigo  - Sarah JOAN ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant