Le poids de l'absence

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Jonathan arrive, sur la pointe des pieds dans la pièce. Alice... Sur la table, le repas est encore chaud. Une fumée opaque et blanchâtre s'échappe de l'assiette en porcelaine. Le verre porte la trace de son rouge à lèvres ; un rouge vermillon. La pendule, en arrière plan, produit un son cacophonique. Le Tic Tac devient presque assourdissant et retentit comme l'ultime sentence.

Jonathan s'approche de la table. Négligemment posé sur la chaise, se trouve le manteau couleur beige de sa bien-aimée. Son odeur l'enivre lorsqu'il passe à côté. Pourtant il ne peut s'empêcher d'avoir un pincement au cœur en voyant tout ça.

Il s'avance, touche du bout de l'index, le tissu en laine. Il a l'impression de retourner en arrière, ce soir de mars, où il l'a embrassé pour la première fois.

Alice avait encore ses cheveux longs à l'époque, elle portait ce manteau sur le dos, une écharpe rouge presque pourpre, qui allait de paire avec le rouge qu'elle portait sur ses lèvres. Ses yeux bleus, transperçaient encore tout. Il était tombé amoureux d'elle, dès le premier instant. Et pourtant...

Alice n'avait pas été facile à approcher. Il avait mis des semaines, des mois même avant d'enfin pouvoir l'inviter à sortir. Leur rendez-vous s'était déroulé dans un restaurant chic de Bordeaux. Ils avaient fait connaissance et à la fin de la soirée, l'un connaissait presque tout de l'autre. C'est pourquoi il n'avait pas hésité à l'embrasser après cette soirée fabuleuse.

Alice était passionnée d'astronomie. Ils étaient allés se balader, seuls, dans les rues de la capitale aquitaine et elle lui avait conté les histoires des différentes étoiles. Lui, était resté là, devant elle, bouche bée. Il ne croyait pas en sa chance. Comment ce petit bout de femme avait-elle pu s'intéresser à lui ? Il se posait encore aujourd'hui la question.

Mais... Mais tout venait de changer...

Jonathan se posa sur la chaise, s'entourant ainsi de la fragrance de sa bien aimée. Sa vie venait de prendre un nouveau tournant. Il se sentait affreusement seul. Le repas avait maintenant refroidi et il ne put s'empêcher de verser quelques larmes.

Sans elle, je ne suis rien, se dit-il alors.


Il tape d'un poing rageur sur la table et ressent une immense douleur au niveau de son cœur. Oui. Son cœur tambourine, il semble prêt à sortir de sa cage thoracique. Il se sent tellement impuissant. Il n'a pas pu la sauver. Le téléphone de Jonathan se met à sonner. La musique qu'Alice lui avait choisie... Son cœur se serre une seconde fois.


Qu'ais-je fais dans une vie antérieur pour mériter ça ? se demande-t-il en vain.


Au bout de la quatrième sonnerie, il trouve la force de répondre.

- J'arrive dans dix minutes, répond-t-il sur un ton solennel.

Il se relève et cligne des yeux. Plus rien n'est comme avant.

La table a été débarrassée. Le verre d'Ice Tea est sur l'égouttoir, et la trace de rouge à lèvres vermillon a disparu. Il se retourne vers la chaise d'Alice et découvre avec soulagement que le manteau de son âme sœur s'y trouve encore.

Son regard se fixe au miroir, qui lui renvoi une image de lui qu'il n'aime pas. Là habillé dans un costume noir, il s'apprête à faire la chose la plus dure de sa vie : dire au revoir à la femme de sa vie. Son Alice...

Cela fait une semaine qu'il ne vit plus. Il survit tout au plus, mais n'est plus maître de son corps, et encore moins de son esprit.

Il s'en veut. Il ne cesse de se répéter que s'il était rentré vingt minutes plus tôt rien de tout cela ne se serait passé. Alice n'aurait jamais couru dehors en entendant appeler à l'aide. Elle n'aurait jamais traversé la route sans regarder, elle aurait évité cette voiture.

Jonathan ferme les yeux et une larme coule une nouvelle fois sur son visage fatigué et amaigri.

Il sort rapidement de la pièce et se dirige vers la porte d'entrée. Sur le chemin, il ne peut s'empêcher de lever son nez, vers la photo qu'ils avaient fait, le soir où ils avaient fait l'amour pour la première fois. Avant de terminer la soirée chez lui, ils étaient allés dans un photomaton et avaient pris la pose. Peu sérieusement mais ils avaient bien ris et de cette soirée ils gardaient tous deux d'excellents souvenirs.

Mais la vie est faite ainsi et jamais plus il ne verrait l'air endormi de sa fiancée le matin alors que le réveil sonne. Jamais plus il n'entendrait Alice chanter du Elton John sous la douche. Alice est partie, emportant avec elle la vie et la joie de vivre de son amour.

MélancoliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant