J'arrache une nouvelle page de notre histoire. J'attrape une nouvelle photo et déchire ton visage. Les larmes ne coulent plus depuis longtemps. La rage au ventre, je continue mon nettoyage méticuleux. Tout y passera. Les photos, tes cahiers de "composition", même ta guitare se fracasse contre le sol et part finir sa course contre le mur. Tes chemises volent dans tous les sens et finissent par s'écraser contre le parquet. Les boutons de celles-ci volent dans une chorégraphie presque impeccable. Je tire sur tes tee-shirts et le bruit de la déchirure retentit dans la chambre silencieuse. Un rire me parcourt quand j'imagine ta tête lorsque tu rentreras. En lacérant tes baskets je me dis que j'ai été conne, conne de croire à toutes tes histoires. Mais aujourd'hui c'est fini, je pars. Je reprends ma liberté. Je vide les bouteilles d'alcool dans un grand seau et brûle les quelques miettes de notre amour encore intactes jusqu'à présent. Demain, quand tu rentreras il n'existera plus rien. J'hésite un instant en voyant la seule photo qu'il te reste de ton frère. Je l'étudie et la repose. Jérémiah ne mérite pas ma colère. Il n'a pas cherché à avoir un connard tel que toi en tant que frère. De là où il est, tu lui fais surement honte à l'heure actuelle.
J'observe l'air sereine les flammes qui dansent devant mes yeux. Une à une le reste des photos devient de la cendre. Une poussière qui représente ce qu'il reste de nous. Rien. Le néant. Je reprends mes affaires et cours dans les escaliers du vieil immeuble. Je saute comme une gamine sur le trottoir enneigé. Pendant deux ans tu m'as menti. Pendant deux ans j'ai sacrifié ma vie pour que tu puisses construire la tienne. Mais c'est fini. Je sais tout à présent. Je suis libre mon amour. Libre comme jamais je ne l'ai été. Le vent glacial vient caresser mon visage. Je souris à la lune. Ce soir la victoire a un goût amer. Je repense au message de "ta femme". Celui qu'elle t'a laissé pour ne pas que tu oublies d'aller chercher Paul. Ton enfant ? Le sien ? Au fond peu m'importe. Cela fait deux ans que j'accours dès que tu reviens en ville. Deux ans que je me prosterne à tes pieds pour avoir ne serait-ce que cinq minutes dans tes bras. Aujourd'hui j'ai compris. Compris que tu m'avais trahis.
Distraitement je marche dans les rues de Vancouver. Le froid de l'hiver cherche a s'engouffrer sous mes vêtements. Mes larmes se sont taries depuis le temps. Mon portable s'allume et se met à clignoter. Ton nom apparaît sur le mobile. Es-tu rentré plus tôt ? M'appelles-tu pour me dire que je te manque ? Que tu ne peux plus attendre une seconde de plus avant de me voir, de m'embrasser, de me toucher ?
Au coin de la rue, j'entre dans un diner et commande un cheeseburger, bien gras, remplis de fromage industriel. Tu détestes la nourriture frit. Ce soir, je veux que tu me haïsses, que je deviennes l'exact opposé de celle que tu voulais. L'odeur de graillon me donne presque la nausée quand l'employée me sert ma commande dans un sac en papier, qui s'imbibe de graisse. Mon paquet à la main, je repars chez moi. Mon téléphone sonne encore une fois. Excédée je l'écrase sur le sol avant de sauter à pied joint sur le mobile. Je n'existe plus à présent pour toi.
Arrivée dans mon appartement je n'ai même pas la force d'allumer la lumière. Je me glisse jusqu'au canapé où je m'assois lourdement, sentant tout à coup le poids de ces dernières heures, sur mes épaules. Je retire mes chaussures en les poussant chacune leur tour du bout du pied, avant d'allonger mes jambes sur la table basse entre les piles de journaux papiers. A tâtons je cherche la télécommande et actionne le téléviseur. J'attrape mon cheeseburger et dévore mon repas d'infortune. A la pause publicitaire, je me rends dans la salle de bain et actionne la lumière. Le miroir me renvoie une image affreuse de ma propre personne. Des cernes violets ont pris place sous mes yeux rougis par la tristesse. Ma peau est encore plus blanche que d'ordinaire. Je pourrais aisément être castée pour un rôle dans Walking Dead.
J'ouvre le placard à la recherche d'un médicament pour le mal de tête lorsque soudain je tombe sur la boîte que j'ai depuis tant de semaines cherchée à occulter. Je mets la main dessus et l'observe sous toutes ses formes. Je l'ouvre rapidement et en sort un bâtonnet blanc. Après ce soir, je crois que la dose de courage pour faire face à cette éventualité a été décuplée. Je m'assois sur la cuvette des toilettes et pisse sur l'embout blanc. J'attends cinq minutes comme indiquée sur la notice. Je jette un coup d'œil nerveux à ma montre toutes les cinq secondes. Mes doigts manucurés de la veille tapotent dans un rythme frénétique le comptoir de la salle de bain. Cinq minutes passent, puis dix, puis quinze. Je reste peut-être une heure, prostrée ainsi dans ma salle de bain. Mon corps se raidit lorsqu'enfin je jette un œil à l'objet. Deux barres bleues sont inscrites sur le bâtonnet en plastique. Je regarde mon ventre sans réaliser un instant. Abasourdie je m'assois sur la cuvette des toilettes et soulève mon tee-shirt avant de poser une main tremblante sur mon ventre. Pourquoi fallait-il que ça arrive ce soir ? Mon corps se secoue d'un spasme violent. Mes larmes s'autorisent enfin à couler. Je ne sais pas où nous allons toi et moi, petit, mais à deux on s'en sortira toujours. Pendant de longues minutes, je raconte n'importe quoi à cet être qui a pris possession de mon corps. Je lui raconte ma vie, qui je suis.
Et pendant ce temps, à l'autre bout de la ville, Gavin ouvre la porte de son appartement en riant et en appelant le nom de sa bien aimée.
— Mila, t'es là bébé ?
Son sac de voyage tombe à ses pieds lorsqu'il voit le carnage de son appartement. Elle est au courant...
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Mélancolia
Short Story~ Recueil de Nouvelles ~ Les photos emprisonnent nos souvenirs à jamais. Elles gardent la trace d'un bonheur de courte durée, d'une beauté particulière... Les photos vivent. Et nos souvenirs vivent à travers elles. Les photographies sont comme des...