Atlanta, Géorgie, 18 heures.
La nuit commence à tomber sur la ville, tout comme les quelques gouttes qui viennent s'écraser lourdement sur le bitume. Dans le quartier des affaires, des silhouettes noires s'élancent hors des buildings, bien décidées à en finir avec leur journée éprouvante passée bloquées devant des ordinateurs peu compréhensifs et sous le commandement d'une personne tout aussi compréhensive. Une première vague de travailleurs s'échappe alors des hauts immeubles. Les corps endimanchés dans des tailleurs sur-mesures s'agglutinent sur les trottoirs ; ils se frôlent, se touchent puis se collent. Ils commencent la longue descente de l'artère principale, cette grande avenue qui parcourt une bonne partie de la ville. La pluie arrose les nouveaux sortants. Tels des robots ils dégainent tour à tour leur parapluie, à croire qu'il fait parti intégrante de leur panoplie du parfait homme d'affaire. Les femmes claudiquent à cause de leurs talons trop hauts, et trop glissants. Les hommes ont soudainement oublié leurs bonnes manières et se métamorphosent en hommes des cavernes. Oubliées les attitudes de gentlemen, c'est à celui qui parviendra en premier à grimper dans un taxi. Hors de question de le laisser filer, même par politesse envers une jeune femme. À la guerre comme à la guerre...
Des sans-abris en haillons tentent tant bien que mal d'éviter le piétinement infernal de ces soldats de la finance. Ils se serrent contre les vitrines des magasins fermés, cherchent à se protéger aussi bien de la foule que de la pluie qui tombe encore plus férocement qu'il y a quelques minutes. Les sans-abris font désormais tellement partie du décor, que les traders, comptables, secrétaires, et autres avocats n'y prêtent désormais plus attention. Depuis combien de temps n'ont-ils pas lancé une pièce à ces mendiants ? Depuis combien de jours, de semaines, de mois voire d'années n'ont-ils pas jeté un seul regard vers eux ? Au milieux de la foule dense et compacte, se distingue une chevelure blonde platine aux mèches et aux reflets fuchsias. C'est vrai que cette jeune fille fait tâche parmi toutes ces silhouettes habillées de noir, aux looks classiques et un peu trop cérémonieux. Elle sort à son tour son parapluie : un parapluie rose à poids blancs, rien à voir avec les traditionnels parapluies noirs que possèdent tous ces gens. Plusieurs grands magnas de la finance la regarde avec désapprobation.
« Aucune chance pour que je trouve un taxi à cette heure-ci » se dit-elle pestant contre sa malchance habituelle.
Elle jette un coup d'œil à sa montre, puis repense au message qu'elle a reçu un peu plus tôt.
Rendez-vous 18h30 devant la grande bibliothèque. Ce soir la nuit est à nous...
Affectueusement Will.
Pourquoi avait-il fallu que William se décide aujourd'hui pour l'inviter à un rendez-vous. Cela faisait maintenant des mois qu'ils flirtaient plus ou moins ensemble, ne dépassant jamais le stade du premier verre et d'un baiser trop vite plaqué sur les lèvres quand il la raccompagnait. Hier il avait enfin trouvé le courage de l'inviter et de glisser un sous-entendu dans son message. Jackpot gagnant s'était alors dit la jeune fille. Mais force est de constater que proposer un rendez-vous un vendredi à l'heure du départ en week-end pour tous les grands pontes de la finance et du droit est une mauvaise idée. C'est à cause de ce message qu'elle se retrouve pressée contre les corps enveloppés de leurs imperméables. Au milieu de ce banc de sardines, elle étouffe soudainement. Elle joue des coudes, tente un pas sur la gauche puis se retrouve catapultée sur la droite. C'est à ce moment précis qu'un léger passage s'ouvre. Ni une ni deux, n'y tenant plus elle s'engouffre dans la brèche et rompt son corps à corps avec la foule. Les mains plaquées contre les genoux, cherchant l'air, elle donne l'impression d'avoir couru un marathon. Elle observe rapidement son environnement essayant de ne plus prêter attention à la vague noire qui lui fait face.
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Mélancolia
Short Story~ Recueil de Nouvelles ~ Les photos emprisonnent nos souvenirs à jamais. Elles gardent la trace d'un bonheur de courte durée, d'une beauté particulière... Les photos vivent. Et nos souvenirs vivent à travers elles. Les photographies sont comme des...