Les vieux pick-up se suivent dans la rue à peine éclairée. A croire qu'ils se sont tous donné rendez-vous ici, dans ce vieux motel, à l'enseigne clignotante, qui tombe en ruine. Le crépi par endroit se fissure, la lumière éclaire seulement les voyelles du motel. Un client écrase sa cigarette sur le trottoir humide. Il renifle, crache sur le bitume et rentre à l'intérieur. Le gérant, un sexagénaire au crâne dégarni et au marcel grisâtre, se frotte le ventre avant de faire glisser les roues de sa chaise sur le sol de l'entrée. Il se balance d'avant en arrière comme pour faire passer le temps plus vite. L'homme à la cigarette se rend vers les escaliers et grimpe la première volée de marches. Il ouvre la porte 8 et se vautre paresseusement dans son lit. La pluie continue de frapper contre la vitre. Dans le couloir, des bruits de pas se font entendre. L'isolation phonique n'est pas aux normes, on entend tout ce qui se passe chez son voisin... Des hurlements fendent l'air. Un verre se brise sur le sol et un homme alcoolisé ouvre la porte et jette dehors une jeune femme. Les pleurs aigües résonnent contre le murs. Toujours vautrés dans son lit, l'homme se met à somnoler. Un ronflement s'échappe alors de sa bouche. Il est bien parti pour faire sa nuit.
Dans une chambre du deuxième et dernier étage de ce motel de bord de route, s'échappent des gémissements. Deux corps se voutent, s'embrasent, s'adaptent l'un à l'autre. La jeune femme se déchaînent sur son compagnon de la nuit. Dans un cri guttural, l'homme se déverse dans sa partenaire avant de rouler hors de son corps. La jeune femme se rallonge et ressert le drap contre sa poitrine. L'homme se relève et attrape son pantalon qui gît sur le sol avec le reste de ses affaires. Il sort un portefeuille et un billet de cinquante dollars. Il le glisse sur la table de la chambre avant de terminer de se rhabiller.
_ Tu n'aurais pas une clope ? Demande l'homme à la voix rauque.
_ Non.
Sans un mot de plus, l'homme quitte la chambre et elle se retrouve seule à nouveau. Comment en est-elle arrivée à vendre son corps au plus offrant ? Comment en est-elle arrivée à vivre dans ce motel miteux ? Elle se relève et ferme la porte à clef. Elle attrape les cinquante dollars et les glisse dans son sac. Elle attache ses cheveux et sort un sachet. Sa paille en métal en main elle dispose la poudre blanche sur son poudrier. Elle veut juste oublier. Oublier ce qu'elle vient de faire, oublier le visage de son compagnon de la nuit. Tout oublier... Mais soirs après soirs la poudre ne fait plus effet. Elle recherche quelque chose de plus fort. Rien n'y fait... Un jour après une énième aventure dans sa chambre, elle s'empare de la seringue qu'elle a acheté quelques heures plus tard. Elle attrape une bouteille de gin et boit au goulot une rasade d'alcool. Ses bras sont meurtris de bleus. Ce n'est pas la première fois qu'elle fait ça...
Elle s'allonge sur son lit et laisse le produit agir en elle. Elle a chaud, froid, elle tremble et puis devient immobile. Elle n'a plus la force de parler. Ses yeux roulent d'eux-mêmes. Tout ce qu'elle voit c'est le noir. Le noir des ténèbres qui l'enlace, la retient prisonnière de sa vie.
Trois jours plus tard, alors qu'elle n'a toujours pas émergée de sa chambre, le gérant bedonnant s'approche de la porte et l'ouvre. Etendue sur le couvre-lit vert pâle, les yeux grands ouverts sur le plafond jaunis par le tabac, et pâle comme la mort, il la retrouve. Son corps est glacé, ses lèvres bleutées. Il approche ses doigts grassouillets de son cou et le verdict tombe.
Quelques minutes plus tard la police débarque sur place.
_ Qu'est-ce qu'on a ? Demande l'un d'eux.
_ Wilma, prostituée. D'après les premières constations elle a fait une overdose.
Les policiers s'affairent et transfèrent le corps à l'institut médico-légal pour une autopsie. Les clients se tassent dans l'entrée pour observer le corps enveloppé dans sa housse blanche partir avec ces hommes. Quelques heures plus tard, le gérant demande à la femme de ménage d'aller nettoyer la chambre du deuxième étage. Le lendemain, la chambre est relouée à une alcoolique notoire qui a été jeté dehors par son fils. Ce motel n'est pas le paradis sur terre. Il mène tout droit à l'enfer sans possibilité de passer par le purgatoire.
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Mélancolia
Short Story~ Recueil de Nouvelles ~ Les photos emprisonnent nos souvenirs à jamais. Elles gardent la trace d'un bonheur de courte durée, d'une beauté particulière... Les photos vivent. Et nos souvenirs vivent à travers elles. Les photographies sont comme des...