Les hurlements de rage du dragon résonnaient contre les parois de la grotte comme le putain d'écho qui lui martelait le crâne. Crimson aurait volontiers donné le peu qu'il lui restait pour que tout ceci s'arrête.
En grondant, il fit claquer sa mâchoire. La douleur qui lui comprimait la poitrine depuis des siècles s'intensifiait de jour en jour, le démangeant terriblement. S'il continuait sur cette lancée, il allait crever la gueule ouverte comme tous les autres.
Jamais il n'était resté encore aussi longtemps sous sa forme animale. Le décompte des jours s'était fait de plus en plus rare, jusqu'à ce que sa part humaine ne perde complètement le fil.
Trois semaines ? Un mois ? Deux ou quatre ?
Crimson aurait été incapable de dire depuis combien de temps il s'était barré en claquant la porte, trop terrifié pour émettre le moindre son. Malgré le soleil commençant à poindre, il n'avait pas hésité à se métamorphoser et à s'envoler loin du merdier que lui apportait cette femme.
À chacun de ses mouvements, les brûlures causées par l'astre lumineux se rappelaient encore à lui. Celle sur son flanc droit lui faisait serrer les dents, il geignait comme un clébard au moindre mouvement.
Le dragon entendait encore parfaitement le ton rauque et sexy de la diablesse qui s'était pointée dans sa demeure comme si elle y avait été invitée de bon cœur. Jamais de la vie !
Un seul coup d'œil à son visage parfait avait suffi à confirmer ce qu'il savait déjà. L'anneau en métal que cette femelle portait à la lèvre était le même que celui qu'il avait sous le nez. Lorsqu'ils avaient été massacrés par centaine jusqu'au dernier, tous les dragons en possédaient un semblable sur le corps.
Crimson et cette femme n'avait été épargné que grâce à leur confrérie respective.
Bordel, parfois il en venait même à le regretter.
À la pensée de sa famille et de ses amis disparus, une douleur indescriptible forma une boule brûlante dans sa gorge. En symbiose avec le tumulte d'émotions qu'il ressentait, un tourbillon de flammes était en train de pulluler à l'intérieur de ses poumons.
L'image de cette femelle aux yeux verts le hantait jour et nuit. Chaque putain de seconde était un véritable cauchemar. Même lorsqu'il crachait son feu pour tenter de brûler cette image mentale, elle était encore là quand les flammes se tarissaient. C'était à en devenir complètement taré.
L'espoir et la douleur que suscitait la découverte de cette dragonne était insoutenable.
Sa simple existence relevait de l'impensable. Pendant des années, Crimson avait pensé être le dernier représentant de son espèce... et voilà que cette femelle maudite se pointait.
En repensant à cette... fille venant s'offrir à lui, un torrent de flammes remonta de sa gorge pour s'écraser contre la paroi rugueuse de la grotte.
Il n'avait pas le droit. Il ne pouvait pas. Non, je ne peux pas !
Son hurlement douloureux résonna sur plusieurs kilomètres à la ronde.
La température de l'alcôve devint rapidement étouffante, et ses paupières écailleuses se plissèrent. Il cracha ainsi son feu intérieur jusqu'à ce que le souffle lui manque et que ses organes le supplient d'arrêter.
Tout son corps hurlait d'une douleur qui lui retournait les tripes.
De rage, sa queue ornée de piquants fouetta l'air, défonçant quelques stalactites du plafond. Elles s'écrasèrent au sol dans un grondement assourdissant. Certains morceaux atterrirent dans le bassin du fond, projetant des flaques d'eau aux alentours.
Crimson renâcla, les naseaux brûlants. Comme si elles comprimaient une proie, ses immenses serres se resserrèrent, labourant la pierre dans un bruit strident.
Ce n'était pas assez, vraiment pas. Il avait besoin de plus.
Quand la bête secoua la tête, une lueur orangée accompagna son geste. Son piercing chauffé à haute température diffusait un éclat ardent.
En grondant, il pivota vers la sortie. Son corps hurla de douleur. Chacun de ses muscles réclamaient une délivrance, une intolérable issue.
Le cœur douloureux, il avança d'un pas.
Il avait besoin de plus. La nuit était comme la gueule béante d'un chien des Elnferns. Putride, sombre et menaçante. Non, accueillante plutôt.
Crimson fit un autre pas vers la nuit.
Quand une de ses pattes antérieures lâcha sous son poids, trop abîmée par le soleil, il ne parût même pas s'en rendre compte. Son regard violet était obnubilé par le gouffre tout près. Ses cornes éraflèrent pourtant la paroi de la grotte sur plusieurs mètres, mais il rétablit son équilibre en poursuivant son objectif.
Ses ailes traînaient derrière lui comme désarticulées. Les pointes qui en surplombaient chaque angle, aussi dures que l'os, creusaient des tranchées dans la roche.
Lorsque la lune baigna enfin son corps de lumière, Crimson inspira profondément l'air de la nuit. Au niveau de son poitrail et de ses flancs, sa robe pourpre scintillait au gré de sa respiration lente et bruyante.
Malgré la fragrance de la nature, de la nuit, de la mer au loin, une seule s'accrochait à ses narines. Même l'odeur de transpiration des campeurs venus escalader la façade dans l'après-midi ne suffisait pas à masquer celle qui s'était imprimée dans sa tête par erreur.
Sombre, viscéral et intense, un parfum qui correspondait en tout point à cette femme à l'allure de baroudeuse. Sous sa frange, son regard insolent jetait des étincelles.
Cuir. Épices. Bois de santal. Crimson inspira encore. En dessous, des notes de rose et de jasmin.
En se sentant de nouveau tomber dans les méandres de sa mémoire, la créature gronda en fermant les yeux. Sous sa forme humaine, il se serait pris la tête entre les mains en gémissant.
Hurlant au ciel ses tourments, crachant le feu qui lui rongeait l'intérieur depuis des siècles, Crimson se jeta dans la nuit.
La gueule du chien des Elnferns l'avala sans un bruit.
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Un cœur de pierre T2
ParanormalUne confrérie. Neuf guerriers. Neuf destins. Crimson est le combattant le plus solitaire de la Confrérie. Dernier représentant mâle de son espèce disparue, il n'a plus rien à perdre. Se jeter à corps perdu dans les combats est devenu son quotidien...