Chapitre 4 (2/2)

265 42 2
                                    

Contre toute attente, Nehva ouvrit les yeux pour constater que la couverture de la mort n'était pas encore tout à fait tombée sur sa vie.

Elle battit plusieurs fois des paupières, comme pour être certaine qu'un voile à l'éclat sanguin se dressait bien au-dessus de sa tête. La tête lui tourna quand elle essaya de s'assoir. Elle fit une pause en rejetant son crâne en arrière, remarquant à peine la brèche dans le tissu.

Elle pouvait apercevoir les étoiles par-delà celle-ci, et elle soupira. Elle avait toujours bien aimé la nuit.

Puis la couverture bougea autour d'elle, et elle remarqua alors la teinte incroyable de cette toile tendue. Où était-elle ? Sous ses doigts, les brins d'herbes étaient humides de rosée.

Une goutte tomba sur son front, et, surprise, elle sursauta. Elle s'essuya d'un geste prudent. Le liquide rougeâtre avait tout du sang. Elle plissa les yeux en détaillant la brèche. Des gouttes de la même couleur perlaient presque tout autour.

Enfin, elle remarqua les détails dans le tissu. Les fins filaments qui s'entrelaçaient, les différentes teintes utilisées, comme visibles en contre-jour. Des fines membranes. Des tendons puissants. Des muscles assez solides pour soulever une montagne.

Elle connaissait assez bien ce phénomène pour ne pas se tromper. Elle avait tout faux. Elle avait traversé une aile. Ou plutôt, une aile s'était dressée en travers de sa chute pour lui sauver la vie.

Dans un doux glissement, l'aile se replia et Nehva croisa le regard de Crimson. Ses iris violettes étaient exactement comme dans son souvenir, toujours aussi similaires à deux améthystes illuminées de l'intérieur par un feu divin.

Sous sa forme animale, ce dragon était impressionnant. Tout à fait incroyable. Une puissance phénoménale se dégageait de ce corps à la chaleur communicante, et l'énorme patte qui se dressait juste-là lui faisait accélérer la respiration. L'épaisseur de ses muscles se dessinaient de manière parfaite sous ses écailles. Était-ce grâce à eux qu'il avait pu se déplacer si vite ? Sans aucun doute.

Nehva crispa les doigts sur son pantalon pour éviter de l'effleurer et reporta son attention sur le visage qui la détaillait. Elle se mordit intérieurement la joue. Qu'il soit en dragon ou en humain, ses yeux exprimaient tout autant la hantise et le regret.

Pour détourner son attention, elle caressa le rebord de l'aile blessée. Comme elle s'y attendait, Crimson courba le dos pour se soustraire à son contact. Il gronda dans sa direction en montrant les dents, de la fumée sombre s'échappant de ses naseaux en anneaux parfaits.

La jeune femme souffla dessus pour les dissiper et se releva sans difficulté. Sans son intervention, elle serait probablement morte, ou alors dans un sale état. Qu'il ait sacrifié son aile ainsi lui remuait l'intérieur. En se tournant vers lui, elle posa les mains sur ses hanches.

— Grognes-moi dessus si tu veux, mais il va bien falloir faire soigner cette aile. Et bonsoir à toi aussi, ton retour fait plaisir à voir. Merci de m'avoir empêché de me transformer en soupe.

Puis elle tendit la main en attendant qu'il pose son aile dedans.

En plissant les paupières, Crimson se laissa faire, méfiant. Nehva ne montra rien du trouble qui l'assaillit à son contact brûlant. Du coin de l'œil, elle vit qu'il levait la tête en direction du sommet de la tour, et cela était très bien ainsi.

Petite, une nuée de flèches l'avait percutée alors qu'elle était en plein vol. Les plaies avaient mis des mois à guérir, et il lui avait fallu deux ans avant de pouvoir voltiger de nouveau. Mais pour Crimson... Elle palpa la fine membrane, regarda à contre-jour les vaisseaux touchés, plia et déplia la grande aile pour faire jouer les articulations, et soupira en la reposant.

— Rien d'irrécupérable, je pense. Tu as eu une sacrée veine, tu devrais guérir rapidement.

En reculant de quelques pas, elle pencha la tête en regardant dans la même direction que le dragon. Waive avait disparu, mais Nehva fulmina :

— Tu as vu ça, j'espère. Ce connard m'a poussé dans le vide ! J'ai bien envie de lui refaire le portrait, mais ce tordu aimerait bien trop ça.

Puis elle se força à soupirer pour se calmer et s'adressa au guerrier sur le ton de la conversation :

— Tu devrais tetransformer, tu ne penses pas ? Tu ne pourras pas t'enfuir encore une fois– enfin pas tout de suite. Pas avec une aile dans cet état, on dirait quequelqu'un est passée au-travers.

Un cœur de pierre T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant