Un cœur de pierre T2

Chapitre 7 (1/3)

Quelques étages plus haut, Trez recula de quelques pas pour se laisser tomber dans un fauteuil à bascule, vidé de toute énergie. Après s'être essuyé le front avec son coude, il affirma :

— Wraith est hors de danger.

Aussi essoufflé que s'il venait de courir un marathon, il déglutit avec difficulté. Son Frère avait sérieusement failli y passer. D'ordinaire, de telles blessures étaient observables sur les cadavres conservés dans les frigos de son cabinet au sous-sol – pas sur un mec encore en vie.

— Il a eu beaucoup de chance, mais il va devoir se reposer pendant un bon moment.

Trez échangea un regard avec Indigo par-dessus la poitrine bandée de Wraith. La jeune femme était agenouillée au sol, de l'autre côté du lit sur lequel était allongé son démon. Ses doigts étaient tellement crispés autour de ceux qu'elle tenait que ses jointures étaient blanches.

— Merci, Trez, souffla-t-elle en inclinant la tête jusqu'à ce que son front touche le matelas, des trémolos dans la voix. Je te serai infiniment reconnaissante d'avoir sauvé mes guerriers.

Le sorcier eut un sourire triste. Ce n'était qu'un juste retour des choses, après l'échec qu'il avait vécu en essayant de la sauver d'une piqure de fhardyeaux. Ces insectes peuplaient les crevasses des Elnferns et leur venin était mortel. Lorsque la Confrérie avait déclaré le décès d'Indigo, il ne s'était jamais remis d'avoir échoué à concocter un antidote à temps. Qu'elle soit parvenue à revenir indemne de cette entrevue avec la mort relevait du miracle. Elle avait perdu sa moitié humaine, certes, mais elle était toujours la même.

Alors sauver Wraith, son Frère, n'était que son devoir et quelque chose qu'il leur devait.

Mais, bordel, il apprécierait de ne pas retoucher à ses entrailles de sitôt. Recréer et combler des organes partiellement amputés pompait une énergie de dingue.

Malgré les protestations de son corps, Trez se leva et alla vérifier le bon écoulement des perfusions plantées dans les veines de Wraith. Il hocha la tête de manière satisfaite. Tout allait bien, et son rythme cardiaque était stable.

D'une légère impulsion de magie, il fit avancer le fauteuil à bascule près du lit.

— Tu peux t'assoir là-dessus, si tu veux. Wraith n'appréciera pas de te voir agenouillée par terre quand il se réveillera. Il va encore dire à tout le monde que nous aurions pu mieux te traiter en son absence.

Indigo se releva en grimaçant, secouant ses jambes engourdies. Elle rit doucement en s'asseyant en tailleur sur le siège.

— Il ne sera pas content, même si je suis là-dessus, tu sais. De son point de vue, le plus raisonnable serait sûrement que je me couche sur lui, même dans son état.

Trez partagea son hilarité en imaginant le réveil du démon. C'était, à coup sûr, une théorie tout à fait probable.

— Tu as sans doute raison. Mais, vu l'intérieur de son bide, je l'interdis. Ordre du médecin. Tu ferais éclater toutes mes sutures magiques.

— Entendu, je garde l'argument pour son réveil. Merci, Trez.

Il lui adressa un clin d'œil et s'éclipsa. Lorsque la porte se referma derrière lui, il s'y adossa, les jambes coupées. J'ai trop forcé. En reprenant sa respiration, d'une impulsion de l'épaule, il se remit debout. Il tituba dans les couloirs pour retourner dans sa piaule, les bras tendus pour se retenir aux murs et aux meubles qui passaient.

Il n'avait même plus assez d'énergie pour se téléporter. Son cerveau était brumeux, il fallait qu'il se couche, et vite. Il se devait de reprendre un maximum de force. Si jamais Wraith venait à rechuter, il faudrait qu'il puisse assurer un autre round.

Il était tellement accaparé par ses pensées, qu'il faillit se prendre les pieds dans les jambes de Waive, qui se tenait avachi contre un mur du couloir.

— Qu'est-ce que tu fous là, mec ? T'es tombé ?

Il avait des traces de sang séché sur le visage, les vêtements débraillés, et l'air de vouloir en découdre. Rien de neuf, en somme.

— La dragonne m'a foutu une beigne avec son pied.

Trez aurait pu rire de la situation, mais quelque chose le turlupinait. Et il était si crevé que son cerveau pédalait au ralenti.

— Elle devait avoir une bonne raison de faire ça, dit-il avant de lever les genoux pour éviter les jambes tendues en-travers du couloir.

Même s'il fallait qu'il rejoigne son lit au plus vite, le ricanement de Waive le figea sur place.

— Oui. Je l'ai poussée de la tour.

Sa tête pivota si vite qu'une de ses cervicales craqua.

— Pardon ?

— Crimson est revenu. Ils sont là-dedans, précisa Waive en désignant la porte d'un mouvement du menton.

Trez fronça les sourcils. Une migraine se pointait déjà derrière ses yeux. Aucune des informations recueillies par ses oreilles ne pourraient atteindre sa conscience avant un bon moment. Il devait mettre fin à cette conversation sans queue ni tête au plus vite.

— Tu m'en diras tant, éluda-t-il en secoua une main. Je suis mort, je vais me coucher. Et, par pitié, ne me réveillez que si quelqu'un est sur le point de mourir.

Il s'éloigna de quelques pas avant d'ajouter par-dessus son épaule :

— Tu devrais bouger, Waive. C'est glauque de rester là.

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