chapitre 15

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« La sorcière de la montagne les avait gardées avec elle, pour toujours. »

Les villageois avaient marchés bien haut dans la montagne pour la première fois depuis la création de Morte-la-Combe. Ils avaient bravé leurs peurs pour retrouver Louis, un des leurs, perdu dans la forêt depuis des mois avec deux étudiantes qu'il avait gentiment accompagnée pour leur stupide devoir sur la légende de la sorcière. Pour la plupart des gens, Louis était mort, de froid ou de faim mais il était mort. Pour d'autres, la sorcière l'avait attrapé... et pour sa mère, il était vivant. Elle le sentait au fond d'elle que son fils était bien vivant, quelque part dans cette montagne maudite qui avait déjà tant prit aux gens de ce village.

« Si c'est la sorcière qui l'a, nous, on aura sa peau. Elle a déjà pris ce bon vieux Jean et sa gamine, ça suffit !

— Elle a pris trop de gens ! Si on tombe dessus, on tire !

— Les balles de ton fusil l'arrêteront ?

— C'est des balles pour sangliers mon vieux, elle va se faire trouer de part en part la démone. »

Accrochée au bras de la mère de Louis, une vieille femme faisait le trajet avec eux. La plus vieille femme du village pour être exacte, celle qu'on surnommait la « sage » pour rigoler car elle avait toujours eu une sagesse évidente envers chaque petit soucis du quotidien. C'était d'ailleurs elle qui avait aidé la mère de Louis lorsque son mari était décédé.

Assit au pied de la sorcière, priant pour qu'elle tienne le coup le temps que tout le petit monde passe, Louis observait sa mère qui se tenait à quelques mètres de lui à peine. Il se sentait coupable de la rendre aussi triste, mais la peur qui le traversa en voyant les armes à feu prit le dessus sur son envie de serrer sa mère dans ses bras. Il regarda la vieille femme qui n'avait pas l'air d'avoir peur, ni de vouloir réellement trouver la sorcière. Mais ce n'était pas vraiment une surprise, Louis se souvenait lorsqu'elle lui racontait le conte de la sorcière de la montagne. Elle déformait toujours la légende originelle. La sorcière n'était pas le monstre, la sorcière se battait contre le monstre et sauvait la jeune Madeleine. Maintenant, il comprenait. La vieille avait su bien avant tout le monde ce que faisait réellement la sorcière, elle avait compris bien avant tout le monde qui étaient les vrais monstres.

« Il ne faut pas toucher la sorcière, souffla-t-elle de sa voix cassée. Si vous lui faites du mal, la montagne ne sera pas contente et se déchainera sur nous.

— Mais oui mamie, soupira le maire armé de son fusil.

— Ne sois pas odieux, Marc Tolman. J'ai changé tes couches, celles de ton fils et celles de ton petit-fils et changerais les couches de ton arrière-petit-fils lorsque tu seras six pieds sous terre. Fais ce que je dis. Il faut trouver Louis, mais ne touchez pas la sorcière !

— De toute façon, personne ne se souvient à quoi ressemble les deux filles, alors ne tirez pas sans savoir, coupa la mère de Louis. Il faut identifier mon fils et les filles.

— La sorcière sera aussi vieille et croulante que notre vieille à nous de toute façon, on ne pourra pas la rater. »

La petite blague du maire fit rire l'assemblée qui pourtant était bien tendu. Et Louis, toujours accroupi prêt de la sorcière l'était tout autant. Ils étaient trop lents, il fallait qu'ils partent avant qu'elle ne soit trop faible pour retenir le sortilège.

La montagne gronda une fois encore. Les animaux se cachaient dans les ombres de la forêt, les nuages descendaient encore du ciel enrobant le sommet du plus haut et du plus dangereux pic du massif. La nature semblait être du côté de la sorcière, aidant à camoufler ce qu'elle n'avait pas pu faire disparaître.

Pourtant, elle aurait dû. Elle aurait dû tout protéger, tout ensorceler, car la mare aux crapauds ne l'était pas et reconnaissant ses anciens amis et voisins, Jean, croassa en sautillant vers eux.
Le maire vit un mouvement du coin de l'œil, entendit un bruit et sans attendre : tira. Le crapaud vola, explosé en mille morceaux au milieu du jardin de la sorcière. Le bruit de la détonation la fit sursauter, sa concentration disparût lorsqu'elle vit son crapaud mourir pulvérisé, et le sort tomba.

Un silence de mort s'abattit sur la montagne. Au loin, on entendit un bruit de tonnerre qui fit relever le nez de la vieille sage vers le ciel. Elle sentait que quelque chose de mauvais allait se passer, quelque chose qui ne lui disait rien qui vaille. Pourtant, sous ses yeux et ceux ébahi des villageois, Louis se trouvait près d'une femme qui n'était pas là quelques secondes plus tôt.

« Louis ? »

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