chapitre 13

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« Je voulais juste savoir, commença Lyra en bredouillant. Ce qui était fait aux gens. »

Louis restait silencieux à observer l'oiseau qui allait être celui qui leur donnerait les réponses tant attendues. Une chouette. Il n'en revenait toujours pas de voir un animal parler et il était presque certain d'avoir vu plus tôt les deux loups rire. Est-ce que les chats aussi étaient des réincarnations ? Parce que pour lui, c'était ça le « truc » de la sorcière. Réincarner les âmes des gens qu'elle avait tué dans des animaux sauvages et leur donner la possibilité de parler.

C'était fou. C'était insensé. Mais c'était la seule explication qu'il pouvait donner à ce qu'il se passait sous ses yeux. Louis était de ceux qui ne croyait qu'en la science, les formules mathématiques et les études d'observations. Il ne croyait pas en les religions, le psychisme et encore moins la magie. Ça n'existait pas, ce n'était pas envisageable, c'est pourquoi la réincarnation était ce qui lui semblait être le plus probable même si cela n'entrait pas dans ses propres convictions.

« Ils ne meurent pas si c'est la question.

— Alors que deviennent-ils ?

— Les filles, les femmes, elles partent. Tout simplement.

— Attendez, coupa le jeune homme. Vous voulez me faire croire que Guillemette est partie de son plein gré ? Qu'elle est vivante quelque part ?

— Oui. »

La sorcière se leva pour farfouiller dans un coffret dans la cuisine et revint vers lui, déposant sur la table une carte postale. Il observa le papier sans vraiment comprendre alors qu'elle lui faisait signe d'un mouvement du menton de regarder. La carte postale représentait une ville d'un pays voisin, loin derrière la chaîne de montagnes. Et la carte était signée d'une écriture qu'il ne connaissait que trop bien, celle de Guillemette.

« Elle va bien, fit la sorcière en fixant la carte et souriant. Elle est heureuse là-bas.

— Pourquoi est-elle partie sans rien me dire ?

— Parce qu'elle n'a pas pu.

— Vous l'en avez empêchée ?

— Non. Tu n'as pas compris, fit la chouette. Elle n'a pas pu. C'était trop dur pour elle.

— Comment ça ?

— Attendez, coupa Lyra. Si les femmes s'en vont seulement, que deviennent les hommes ?

— Ils... se transforment.

— Comment ça ? répéta-t-il.

— Les hommes sont transformés en crapauds. Comme le père de ton ami, dans la mare là-bas.

— Tous les crapauds de la mare sont des... hommes ? souffla Imane.

— Oui.

— Mais pourquoi faire ça ? Pourquoi faire partir les femmes et transformer les hommes ?

— Que dit la légende ? demanda la chouette. »

Louis observa Lyra qui, prise de panique, tenta de retrouver son carnet de note dans son sac. Imane ouvrit la bouche pour parler mais aucun son n'en sorti, alors il prit la parole, récitant cette légende, ce conte qu'il connaissait sur le bout des doigts depuis petit.

« Un beau jour, alors que le village voisin à la plus haute montagne du pays se réveillait, les villageois entendirent un cri perçant, un cri de détresse suivi de pas de courses. C'était la fille du meunier, Madeleine, qui courait à en perdre haleine en regardant par-dessus son épaule. "Un montre ! C'est un monstre !" avait-elle dit à sa mère et sa sœur lorsqu'on l'interrogea sur la raison de ses cris. Et c'est la nuit que tout arriva. Un soir d'automne, un épais brouillard glissa du haut de la montagne jusqu'au village, empêchant toute lumière de percée. Un vent violent se leva et son souffle dans les branches d'arbres retentit comme un rire venu tout droit des enfers. Les fenêtres et les portes se fermèrent, les volets claquèrent et personne ne sortit de la nuit. Pourtant, au petit matin, la famille du meunier criait sur la place du village qu'on leur rende leur fille. "Le Monstre a enlevé Madeleine !" cria le meunier. Ils cherchèrent de longs jours, rien. Ils attendirent plus encore, mais toujours rien. Puis, un soir ou la montagne grondait, un épais brouillard tomba sur le village. Le vent, le froid, tout était comme cette fameuse nuit où avait disparu Madeleine. Les familles se cadenassèrent, les mères passèrent la nuit avec leurs enfants, les pères passèrent la nuit devant la porte, attendant le Monstre qui voulait s'en prendre à leur famille. Au levée du soleil, horreur. Un corps. Le livreur de lait avait été tué. Sa femme avait tout vu, elle était présente, elle avait vu cette créature sorti des enfers s'en prendre à son mari. La jeune femme était sous le choc, traumatisée par la scène qui s'était passée sous ses yeux...

— Ça suffit, siffla la sorcière.

— Vous ne comprenez pas ? fit la chouette.

— Comprendre quoi ? s'énerva Louis. Il n'y a rien à comprendre dans cette histoire ! La sorcière s'en prend pour la première fois à Madeleine puis au laitier, sans aucune raison apparente.

— Oh... fit Imane. Le Monstre, ce n'était pas la sorcière.

— Effectivement.

— Quoi ?

— Imane, de quoi tu parles ? demanda Lyra a son amie.

— On pense que Madeleine parle d'un monstre, enfin de la sorcière, parce que les villageois disent qu'elle a été enlevée par le Monstre ! Mais, et si le monstre de Madeleine et le monstre qui l'a fait disparaître ne sont pas les mêmes ?

— Il y aurait deux monstres ?

— En fait, non. Il y aurait le monstre, et la sorcière. Dans ton histoire, tu ne parles pas du passage où Madeleine dépérit après sa rencontre avec le monstre ! Et la sorcière, comme elle l'a dit, fait partir les filles et les femmes pour qu'elles vivent heureuses comme ton amie.

— Je ne suis pas...

— C'est pourtant évident ! Il n'y a un pas un monstre, mais plusieurs. Ce sont les hommes. Transformés en crapauds. Le monstre de Madeleine, c'était le laitier, pas la sorcière. »

Louis observa la jeune femme devant lui sans vouloir comprendre, laissant le déni être le moteur de ses pensées. Car si elle avait raison, alors les hommes de la légende, tout ceux qui avaient disparus étaient des monstres. Ils avaient fait des choses à ses filles, à ses femmes... à leurs filles et leurs femmes. Jean avait fait quelque chose à Guillemette.

« La chouette a dit...

— Aubépine, coupa la chouette.

— Pardon, rougit Lyra. Aubépine a dit que ton amie n'avait pas pu te parler, que c'était trop dur.

— Les monstres sont des agresseurs, résuma Imane sans pincettes. N'est-ce pas ? Vous aidez les femmes à s'en sortir et punissez les agresseurs en les transformants en des crapauds pour le restant de leurs vies ? »

La sorcière fixa Imane en souriant, et acquiesça.

Louis s'étouffa avec sa propre salive, les larmes aux yeux. Son père était mort lorsqu'il était encore qu'un enfant, Jean avait été une figure paternelle importante pour lui. Et c'était un monstre. Il avait abusé de sa propre fille, sa meilleure amie et elle n'avait pas pu le lui dire.

« Madeleine est-elle la première fille que vous avez sauvée, où est-elle juste celle prise pour la légende ? demanda Lyra.

— Madeleine n'a pas d'importance, fit la sorcière. Ni elle, ni son monstre. Elle a été sauvée, son monstre est mort depuis des siècles et son cadavre de crapaud a été détruit par la montagne depuis longtemps.

— Attendez, vous n'avez pas répondu à toutes mes questions ! Quand et comment êtes-vous devenue une sorcière ? Pourquoi s'être installée ici ?

— Le reste n'a pas d'importance, répéta la sorcière.

— Mais...

— Le petit-déjeuner est servi. »

Le petit-déjeuner qu'elle avait préparé avant qu'ils ne sortent était toujours là et Louis se rendit finalement compte qu'il mourrait de faim. Leurs questions n'avaient pas toutes des réponses, mais il savait ce qu'il voulait savoir. Son amie était en vie et en pleine santé, elle était heureuse et loin de son malheur. Et son monstre croupissait dans une mare avec d'autres monstres comme lui. Il ne lui ferait plus jamais de mal, il ne ferait plus jamais aucun mal.

Il comprenait alors pourquoi son instinct ne l'avait pas mit en garde contre la sorcière. Il n'était pas un monstre, elle ne tuait pas les gens. Il n'avait rien à craindre, sauf peut-être de se faire attaquer par un chat ou manger par un loup géant. Et encore, il n'était pas persuadé que les animaux autour de lui ne le détestait pas uniquement parce qu'il était un homme. Peut-être qu'ils allaient finir par comprendre qu'il n'était pas comme ceux de la mare.

« Du coup, dit-il en essuyant sa bouche pleine de confiture. Les animaux ne sont pas des gens réincarnés ?

— Non, sourit la sorcière.

— Qui sont-ils ?

— Mes amies. »

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