chapitre 14

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« Cette montagne, la plus haute du pays, était aussi la plus dangereuse. »

La lumière du soleil illuminait la montagne et la nature qui y régnait, les oiseaux chantaient, les crapauds coassaient, les louves prenaient l'air laissant leurs truffes humer les odeurs volant avec la brise, les chats prenaient des bains de soleil, la chouette dormait tranquillement en haut d'un arbre centenaire.

La montagne était belle et pleine de vies, les animaux y vivaient en paix et la nature y était luxuriante. Tout ne pouvait qu'aller bien.

Au milieu de la forêt, à travers les branchages des arbres, la lumière du soleil éclairait un cottage où s'activait celle qu'on nommait la Sorcière de la Montagne. Un torchon accroché à sa taille, elle s'y essuyait les mains dès que ces dernières étaient trop sales pour tenir la petite bêche qu'elle utilisait pour entretenir son potager. Assises près d'elle, deux jeunes femmes observaient ses gestes, l'une prenait quelques notes sur son carnet, l'autre lisait un vieux livre qu'elle avait trouvé dans les affaires de la sorcière. Plus loin, assit sous l'une des fenêtres de la maisonnée, un jeune homme écrivait une lettre pour son amie disparue.


Après leur conversation et les révélations qui allaient avec, la sorcière avait décidé de reprendre ses activités, laissant ses invités manger pendant qu'elle se mettait à jardiner. Ils la regardèrent cueillir quelques légumes, la regardèrent réparer les canalisations qu'elle avait sûrement fabriqué des années auparavant, la regardèrent préparer de quoi déjeuner et préparer des bocaux à garder pendant l'hiver, la regardèrent tricoter un instant au soleil profitant d'un peu de calme avant de retourner chercher du petit bois, des bûches, les couper, les ranger et les préparer pour le feu du soir.

Ils la regardèrent faire un jour, puis une semaine avant qu'elle ne commence à leur apprendre comment l'aider. Comment jardiner, quoi jardiner, quand jardiner. Comment couper le bois, trouver le bois. Comment tricoter, comment coudre, comment broder. Comment réparer les objets du quotidien, comment s'occuper de l'eau, comment garder la chaleur et comment faire à manger. Un millier de petites choses qu'elle faisait seule depuis des années et qu'elle partageait pour la première fois.

Ils l'aidèrent pendant un jour, une semaine, puis un mois. Une saison était passé, l'hiver était là, le froid et la nuit si longue alors que le jour était si court. Ils restèrent avec elle pendant un jour, une semaine, un mois, une saison puis deux. Le printemps arrivait, les louves perdaient leurs poils d'hiver et Lyra les récupéraient pour en faire des coussins pour les chats. Le printemps arrivait, les chats ressortaient et montraient à Imane les petits fruits qu'elle pouvait cueillir dans la forêt. Le printemps arrivait.


Louis soupira lourdement faisant tourner les têtes vers lui alors qu'ils mangeaient tranquillement un soir. Il fixait l'extérieur par la fenêtre, soupirant une seconde fois avant de reporter son attention sur la sorcière.

« On ne peut pas continuer comme ça. »

La jeune — malgré son âge — femme l'observait sans dire un mot, le visage figé sans aucune expression. À leurs côtés, Lyra et Imane étaient perplexe. Voulait-il partir ? Rentrer chez lui ?

« On ne peut pas dormir indéfiniment sur les canapés. Il faut agrandir le chalet. »

La sorcière sourit, Louis sourit.

« Je dois avoir de quoi faire, dit-elle.

— Je ne sais pas faire.

— Je t'apprendrais. »

Elle lui apprit. Ils passèrent tous ensemble des heures à construire une pièce en plus au chalet pour qu'ils puissent y dormir.

Un jour passa, une semaine, un mois, l'hiver passa et le printemps s'installa. L'herbe verte revenait sur le sol, les bourgeons avaient éclos depuis peu et les animaux sortaient de leurs tanières... pourtant ce jour-là, tous fuyaient et les louves se mirent à grogner alors que la sorcière et Lyra se trouvaient en train de jardiner.

« Mauve ?

— Des chiens, fit la louve.

— Comment ça ?

— Des chiens de chasses, continua Digitaline.

— Je croyais que personne ne venait jusqu'ici ? paniqua Imane en observant Louis. Tu as dit que les gens s'arrêtaient à la source !

— Je... personne ne va aussi loin ! Ils doivent nous chercher.

— Nous chercher ? Mais on ne connait personne, pourquoi...

— Je suis le fils de la seule aubergiste du coin, tout le monde l'adore et j'ai grandi parmi ces gens ! C'est moi qu'ils cherchent. Ils sont ma famille, que je le veuille ou non.

— Ta famille est armée, siffla Lyra.

— Il faut se cacher, il ne faut pas qu'ils vous trouvent. S'ils nous cherchent alors...

— Ils vous cherchent, coupa Aubépine en atterrissant sur une branche. »

La sorcière essuya ses mains sur son torchon qu'elle jeta à terre et rentra en vitesse dans la maisonnée, regroupant fioles et herbes sans attendre. Elle n'utilisait que rarement la magie, pourtant là, c'était vital. Si les chasseurs trouvaient les trois jeunes, ils n'auraient rien, mais s'ils la trouvaient elle... ou ses animaux. Ils mourraient. Elle ne pouvait le permettre, elle devait les protéger.

« Protège-nous, protège-nous, souffla-t-elle sans arrêter de broyer les herbes et mélanger le contenu des fioles.

— Ils arrivent, fit Lyra.

— Protège-nous ! cria la sorcière en lançant une poudre dans les airs. »

Soudain, tout devint flou. Les trois jeunes semblaient être dans un brouillard, ils voyaient mais ce n'était plus aussi net, comme si quelqu'un avait mis un papier calque devant leurs yeux. Les animaux rentrèrent sans demander leurs restes alors que la sorcière était concentrée sur son sort, les yeux clos et la respiration hachée. Elle protégeait tout son domaine... elle l'avait rendu invisible. Le temps sembla s'accorder avec elle, puisque les nuages arrivèrent et soudainement la brume se leva. Le soleil était caché, l'air se fit plus froid et la montagne gronda.

« Un tremblement de terre ? chuchota Imane paniquée.

— La magie, fit Valériane en sautant sur la table. La magie de la montagne.

— La montagne est magique ?

— La montagne est vivante, répondit Armoise en rejoignant son amie. Elle ne pourra pas tenir indéfiniment. Ils doivent partir.

— Si nous allons ailleurs, on pourrait attirer leur attention et vous sauver, tenta Louis.

— Ou ils pourraient avoir peur et vous tirer dessus avec leurs armes, gronda Mauve. Ne bougez pas. Ils ne vont pas rester. Ils ne restent jamais. L'endroit va sembler vide et sans intérêt... Ils vont partir.

— Ils doivent partir, souffla la sorcière. »

Mais les villageois ne partaient pas. Ils marchaient vers eux sans se préoccuper du brouillard qui biaisait leurs sens, ils marchaient pour retrouver Louis et les deux étudiantes. Ils marchaient la peur au ventre de se retrouver face à la sorcière.

Et de rester bloquer pour toujours comme les cinq filles de la légende.

damnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant