39. Un ange tombé du ciel

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SETHY

Vingt jours. C'est déjà bien trop long pour résoudre un meurtre, surtout lorsqu'on a une famille endeuillée qui ne cesse de nous harceler pour connaître l'avancée de l'enquête.

Ce matin, j'ai ainsi eu l'agréable surprise de trouver madame Amari dans mon bureau, toute échevelée et furibonde, prête à me porter responsable de tous les maux sur Terre. Moi qui n'avais jusque-là eu affaire qu'à une mère de famille éplorée, j'ai eu le plaisir de découvrir un dragon irraisonnable qui exigeait des réponses. Maintenant.

Sauf que des réponses, je n'en ai pas vraiment. Après avoir quitté Karl Bauer hier, Hans a contacté les clients de l'hôtel à Hambourg qui avaient porté plainte contre Baranov. Et il s'est avéré qu'ils s'en rappelaient fort bien ! Apparemment, l'homme était accompagné d'une adolescente aux cheveux blonds qui se serait mise à hurler au beau milieu de la nuit et à frapper les murs comme une forcenée. Elle serait ensuite sortie en furie de la chambre, un vase éventré à la main, et aurait menacé ses voisins ainsi que tout le personnel de l'hôtel avec.

Alors que ces quelques informations nous poussaient à croire que la gamine était peut-être séquestrée par Baranov, la chute de l'histoire nous a détrompés. Après avoir blessé deux femmes de chambre et un employé de restauration, elle se serait effondrée en sanglots dans les bras de Baranov qui aurait immédiatement quitté l'hôtel avec elle, sans employer aucune forme de violence.

Malheureusement pour nous, son nom n'était pas enregistré et le duo a réussi à s'échapper sans passer par la case sécurité. Et ça me fout dans une rage folle.

Qui est la gamine qui l'accompagnait ? Et pourquoi se montrait-il aussi prévenant envers elle ? Est-elle sa fille ? Sa compagne ? Son associée ? Hazel aurait-il la réponse à toutes ces questions ?

A cette simple pensée, une rage sourde se diffuse dans ma poitrine et je broie mon gobelet de café entre mes doigts. Après notre passage au garage, Hans m'a fait promettre dans la voiture que je confronterai Hazel sur les propos tenus par Karl. Et je sais que je dois le faire. Mais je retarde l'échéance.

Rien que de songer à l'affronter de nouveau et à soutenir son regard éteint me file des frissons de malaise. J'ignore combien de temps je vais encore tenir avant d'exploser. Combien de temps je vais encore supporter ses mensonges sans broncher. Combien de chances je suis prêt à lui laisser de se racheter.

Parce que je me rends bien compte que c'est ce que je fais ces derniers jours : lui offrir des occasions de me prouver qu'il est autre chose que ce dernier souvenir terrible qu'il m'a laissé il y a vingt ans, lors de cette sinistre après-midi de juin. Peut-être ai-je toujours voulu vérifier cela au fond, que l'adolescent qui s'est enfui avec mon cœur ne s'est pas tué en chemin, mais qu'il vit toujours là, tapi au fond de ces iris marins qui n'ont jamais réellement cessé de me hanter. Peut-être que derrière ma rage et ma rancœur, c'est cela que je recherchais, cette possibilité de m'assurer que non, je ne me suis pas trompé, et que ce sentiment qui nous a jadis poussés l'un vers l'autre n'était pas une illusion. Peut-être voulais-je inconsciemment tout cela.

Mais Hazel ne me rend pas la tâche facile.

Et ça me met hors de moi.

Alors non, la perspective de devoir l'affronter une nouvelle fois ne me ravit pas.

Perdu dans mes pensées, j'entends vaguement l'église du centre-ville sonner les dix-huit heures et je baille à m'en décrocher la mâchoire.

Le dossier de Baranov est toujours affiché sur mon écran d'ordinateur et ses yeux émeraudes semblent rire de mon inefficacité. Si je l'attrape, je les lui arracherai.

Raz de maréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant