Chapitre 1 - Alexiane

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Janvier2022

Attendre.

Voilà ce qui désigne mon quotidien. Ou plutôt mon enfer personnel.

Attendre.

Rester dans ce lieu jusqu'à ce que quelque chose se produise.

Voilà ce que j'attends et ce qu'on attend de moi. Que quelque chose se produise... Mais quoi ?

Cela fait maintenant un mois que je suis enfermée entre ces quatre murs, sans couleur, sans nuance, sans chaleur. Mis à part un lit, un bureau, une chaise et un plafonnier, il n'y a rien dans cette pièce. Ma chambre est aussi insipide que le temps passé ici. Et pourtant, je n'en sors pas. Pas parce que je n'en ai pas le droit, mais parce que je ne le souhaite pas.

Les activités proposées par le personnel de l'établissement ne m'attirent absolument pas, contrairement aux autres patients ici qui souffrent de pathologies différentes de la mienne, sinon la même. Et puis, honnêtement, vais-je aller mieux, me sentir mieux, en gribouillant quelques formes avec leurs pinceaux, sur des feuilles aussi blanches que les murs de ma chambre ? J'ai des doutes...De toute façon, je n'aime pas les gens. J'ai toujours évité de les côtoyer et je ne compte pas changer.

Alors, j'attends. J'attends que la journée passe. J'attends le lever du soleil à travers ma fenêtre qui ne s'ouvre pas, j'attends l'infirmière et ses médicaments, j'attends mon repas, j'attends la nuit... Mais ce que j'attends surtout chaque jour, avec grande impatience, c'est la visite de ma sœur. Celle qui rythme mes journées et qui les embellit. Ma seule amie, ma seule famille...Elle n'a rien pu faire, malheureusement, pour empêcher mon internement. En même temps, je crois qu'elle préfère que je sois ici, entre quatre murs, plutôt qu'entre quatre planches.

Instinctivement, je porte mon pouce et mon regard sur la ligne rose horizontale au niveau de mon poignet droit. Une larme m'échappe au moment où mon cœur tressaute. J'ai voulu l'abandonner, tout abandonner. J'entends encore le hurlement de mon nom à l'instant où elle m'a découverte, une mare de sang entourant mon bras, contrastant avec la couleur de ma peau et celle du carrelage. Mon esprit partant à la dérive vers un monde encore plus sombre que celui dans lequel j'errais.

Recroquevillée sur mon lit, le menton posé sur mes genoux, ces images me reviennent en pleine figure, comme un boomerang dans son élan. Incapable de l'éviter, incapable de m'en protéger, il m'inflige sa douleur et me terrasse.

Je me redresse et inspire douloureusement, balayant la pièce d'un regard morne, ce regard qui me définit aujourd'hui. J'observe la vie suivre son court, sans moi, à travers la seule lucarne qui me rappelle où je suis et ce que je ne peux plus faire. Être libre, sentir le vent caresser mon visage, le froid me mordre les joues, le soleil me réchauffer le corps... Si j'ai le droit de sortir de ma chambre pour rejoindre le monde des vivants, ou plutôt des« survivants », dans une salle commune, je n'ai pas encore la chance de pouvoir sortir de cet hôpital.

« Dangereuse » m'ont-ils qualifiée. A cette pensée, un sourire sans joie étire mes lèvres, pendant que je regarde les flocons de cette nouvelle année virevolter dans les airs. Je n'ai jamais pu écraser une araignée, ni même regarder des documentaires animaliers sur la vie sauvage, trop cruelle à mes yeux. Mais il apparaît, sans nul doute à leurs yeux, que je suis dangereuse. Il m'a fallu plusieurs jours pour comprendre que la dangerosité d'une personne n'est pas forcément liée au monde extérieur, mais parfois à soi-même. Il est donc trop dangereux de me laisser faire le moindre pas dehors, sans que je ne risque d'attenter à mes jours, ou de m'échapper.

Lassée par cette vue qui ne fait que me narguer, je change d'horizon et mon regard se porte sur le pupitre situé en face de moi, à quelques pas. Un infirmier y a déposé deux feuilles blanches et un crayon de papier pour que je me libère l'esprit, si l'envie me prend. Il accompagne Henriette, mon infirmière de jour attitrée depuis que je suis ici. Il m'a dit s'appeler Joshua et être là pour m'aider. 

Malgré son regard compatissant et sa sincérité qui se dégage de ses traits, je n'ai pas confiance. Alors, je ne lui parle pas, mais ça n'a pas l'air de l'embêter plus que ça. Henriette non plus, n'a pas l'air d'être trop contrariée par mon manque de bavardage. Il faut dire qu'elle parle pour deux, c'est une vraie pipelette. Elle entre avec sa gaieté, me salue et me pose quelques questions, auxquelles je ne réponds pas, me donne mes médicaments, puis repart. Tout cela, sous l'œil avisé de Joshua, qui prend des notes.

A croire qu'écrire l'aide à je ne sais quoi et qu'il souhaite que j'en fasse autant.

Des bruits attirent mon attention et me tirent de mes pensées. De l'autre côté de ma porte fermée, j'entends le changement de service entre l'équipe de nuit et l'équipe de jour. Une nouvelle journée commence. Toujours aussi longue, toujours aussi insignifiante. Du moins, jusqu'à l'arrivée de ma sœur, Anna.

Je fixe à nouveau les documents vierges et immaculés, sur le bureau qui n'a pas bougé d'un pouce. L'ennui est terrible, mais malheureusement pour moi pas mortel... Je n'ai rien d'autre à faire que ressasser mon passé qui m'a brisée. C'est insupportable, insoutenable...

Je soupire et me lève jusqu'à l'interrupteur de ma chambre afin de laisser la lumière envahir l'espace et faire disparaître les ombres de la nuit, à défaut des ombres de ma vie. Je me dirige vers la chaise, que je tire doucement, puis je m'installe et décide qu'il est temps d'occuper ces journées à rallonge.

Seule, face à moi-même, je prends le crayon et commence une lettre à l'attention d'Anna. Du moins, j'essaie. Mais c'est bien plus difficile que de rester sur son lit à regarder le temps passer. Je n'ai pas le droit à l'erreur, je n'ai que deux feuilles...

Avant que je ne me pose trop de questions, je me lance, je saute dans le grand bain des excuses et le crayon me suit. Je commence par demander pardon pour être celle que je suis. Pour mon acte et mon égoïsme. Pour libérer les maux qui m'empoisonnent l'existence depuis si longtemps...

Depuis toute une vie.

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